Le sable évoque la plupart du temps la plage, les vacances, les îles paradisiaques. Pourtant, notre rapport avec le sable ne se limite pas aux deux ou trois semaines de congés d’été. Le sable fait partie de notre quotidien, il est même omniprésent. Pourtant, cette ressource dont nous avons tant besoin s’épuise. Elle est victime d’une industrie colossale, toujours plus vorace et de pillages.
Bientôt une pénurie de sable ?
Peu d’entre nous s’en rendent compte mais le sable arrive en troisième position des ressources les plus utilisées, après l’air et l’eau, mais devant le pétrole ou le charbon !
Il représente environ 200 usages quotidiens, allant de la filtration de l’eau à la fabrication de microprocesseurs et de produits de haute technologie, en passant bien sûr par le verre, qui c’est d’ailleurs l’une de ces principales utilisations.
À côté de ces domaines assez évidents, le sable se cache aussi dans des produits beaucoup plus inattendus : parce qu’il est source de dioxyde de silicium, on en trouve ainsi dans le vin, le papier, le dentifrice et des milliers d’autres choses.
On se sert aussi du sable pour construire des avions puisqu’il entre dans la composition du plastique des réacteurs, de la peinture ou encore des pneus. En d’autres termes, dans notre société actuelle, le sable est devenu comme l’air ou l’eau : on ne peut pas vivre sans.
Le bâtiment, gros consommateur de sable
Là où le sable est vital, c’est bien pour le secteur du bâtiment. Dans les granulats (grains minéraux de tailles variables du sable au gravier), il forme la matière première du béton que l’on trouve dans quasiment tout type de construction. On estime que le boom immobilier actuel engendre une consommation de 2 tonnes par an et par être humain de béton !
Parce que son coût de production est relativement bas, et qu’il présente des qualités inégalables, le béton armé est donc le matériau de construction dominant à l’échelle planétaire. Or il est composé de 2/3 de granulats et de 1/3 de ciment et d’eau… Le sable est donc présent dans les 2/3 des constructions du monde entier.
Outre le bâtiment, le secteur public est lui aussi très friand du sable puisqu’il en a besoin pour construire des routes par exemple.
Combien de sable ?
- Dans le monde, on utilise 40 milliards de tonnes de sable par an. À part l’eau, aucune ressource n’est exploitée à ce point. 30 milliards de tonnes servent à fabriquer du béton, et les 10 milliards restants pour les puces électroniques et l’extraction de gaz de schiste, selon le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE).
- En France, ce sont 383 millions de tonnes de sable qui sont nécessaires chaque année.
- Pour construire un hôpital, ce sont 3.000 tonnes de sable qui sont utilisées.
- Pour construire une autoroute, 30.000 tonnes de sable sont englouties à chaque kilomètre et 12 millions de tonnes pour une centrale nucléaire !
L’extraction du sable provoque des déséquilibres
Or le sable est une ressource non renouvelable. Pendant des années, le sable provenait de carrières qui s’épuisent. Face à ce constat et au besoin de s’approvisionner en cette ressource, on a décidé d’exploiter celui des rivières.
Mais cela a eu deux conséquences catastrophiques pour l’environnement : d’une part, l’extraction du sable provoque des crues ; d’autre part, lorsqu’on décide d’extraire du sable des rivières, on empêche le remblai naturel des plages.
En effet, le sable présent sur les plages provient de roches situées parfois à des milliers de kilomètres. Il est charrié par les cours d’eau et il s’écoule entre un siècle et un millénaire avant son arrivée dans les mers et les océans.
Alors que les mines et carrières de sables s’épuisent à travers la planète, le dernier endroit où trouver du sable est donc au fond de la mer. Pour aller chercher le sable au fond des océans, les industriels font intervenir d’immenses navires spécialisés capables d’extraire et emporter jusqu’à 400.000m³ de sable par jour. Ce pillage des fonds marins entraîne de graves conséquences sur l’environnement.
La surexploitation du sable : catastrophe écologique, opportunité économique
Quand les dragues viennent pomper le sable au fond de l’eau, elles engloutissent une matière qui a mis des dizaines voire des centaines de milliers d’années à se constituer.
La biodiversité en danger
L’exploitation des fonds marins représente une catastrophe pour tous les organismes vivants. La destruction de l’habitat naturel des organismes situés au plus bas de la chaîne alimentaire entraîne leur disparition, ce qui affecte tous les maillons situés au-dessus. Tous les poissons meurent faute de nourriture : c’est donc la survie de toutes les espèces qui dépend du sable.
La biodiversité est menacée, engendrant des conséquences directes sur les hommes. Ainsi en Indonésie par exemple, de nombreuses familles vivent de la pêche. Là-bas, 92 % du poisson consommé provient de la pêche artisanale. Avec la destruction des fonds marins, ce sont les ressources de milliers de familles qui sont elles aussi détruites.
L’Indonésie souffre de l’appétit de son voisin Singapour. La cité-État s’est agrandie de 130 km² sur la mer, ces quarante dernières années. Ceci en achetant des milliards de tonnes de sable à l’Indonésie, avec des conséquences irréversibles sur la région. Ainsi, 25 îles de l’archipel indonésien ont été tout bonnement rayées de la carte à cause de cette prédation en sable de Singapour.
En exploitant à outrance le sable, c’est tout l’équilibre naturel qui est perturbé. Le pompage du sable marin crée un vide que la nature comble rapidement par les actions combinées du vent et des vagues. C’est alors le sable des plages et des îles voisines qui vient boucher les gigantesques trous. On assiste à un phénomène global d’érosion des plages : 75 à 90 % des plages du monde reculent, avec une tendance qui s’accélère
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En Floride par exemple, 9 plages sur 10 sont en voie de disparition. Parfois, ce sont même des îles entières qui disparaissent. Ces pratiques menacent aussi l’intégrité des infrastructures voisines des zones de dragage provoquant parfois l’écroulement de ponts.
Autre victime collatérale : l’agriculture. Avec la disparition du sable, l’eau de mer s’infiltre dans les nappes phréatiques et empêche ainsi la culture de terres arables.
La folie de la demande de sable : le nouvel or jaune
Marché énorme, l’industrie du granulat se porte comme un charme. Et pour cause : on aura toujours besoin de construire des bâtiments et des routes. La demande de sable ne cesse de croître. D’après le PNUE, ce commerce devrait augmenter de 5,5 % par an avec l’urbanisation et le développement des infrastructures. Mais parfois, c’est pour assouvir les pires excentricités !
Dubaï et ses excentricités
Dubaï est connu pour ses excentricités architecturales : toujours plus grand, toujours plus haut, toujours plus cher, Dubaï ne s’impose aucune limite en matière de construction. Pas même la mer.
Au début des années 2000, l’Émirat se lance dans la folie « Palm Islands ». Parce qu’à cause des spéculations, il coûterait moins cher au pays de construire une île artificielle plutôt que d’acheter des terrains, Dubaï investira plus de 12 milliards de dollars et consommera 150 millions de tonnes de sable pour construire son archipel.
Insatiable, Dubaï part en 2003, à la conquête du monde via son autre grand projet, « The World », un ensemble de 300 îles artificielles représentant la carte du monde. Bilan : 14 milliards de dollars et plus de 500 millions de tonnes de sable pour un projet qui s’arrêtera brusquement en 2008 à cause de la crise économique.
Le sable au coeur des échanges internationaux
On pourrait présumer que tout le sable utilisé provient des déserts tout proches. En fait il n’en est rien. Car il est impossible de construire une île artificielle avec du sable du désert.
Il existe en effet différents types de sables. Selon leur provenance, ils ne présentent pas les mêmes propriétés. Ainsi, les grains qui constituent le sable du désert sont tout ronds et lisses du fait de l’action du vent, ce qui rend impossible toute agrégation.
Pour être exploité dans une construction, le sable doit présenter des angles afin de pouvoir s’agglomérer. D’où l’utilisation et la surexploitation du sable marin pour la construction, qui n’est en rien une ressource durable.
Les Émirats ayant largement épuisé leurs stocks, se voient contraints désormais d’importer du sable. Cela a été le cas pour Dubaï qui a importé 45.700 tonnes de sable d’Australie afin d’ériger sa Burj Kalifa, devenue la plus grande tour du monde. L’exportation de sable aux pays du Moyen Orient rapporte à l’Australie 5 milliards de dollars par an.
La Chine, premier consommateur de sable
L’Empire du Milieu utilise à lui seul 60 % de la production mondiale de sable. Preuve du gigantisme de son boom immobilier : Ces deux dernières années, sa consommation égale celle mesurée aux États-Unis au XXe siècle.
De façon générale, l’industrie du sable brasse des milliards de dollars. Le marché est tellement gigantesque qu’il est gangrené par une véritable mafia.
Le sable, une ressource victime de trafics
Qui dit surexploitation du sable dit raréfaction et donc prix qui augmentent. Cette surenchère a donné naissance à une mafia du sable, qui sévit particulièrement en Asie.
La mafia du sable
Le continent asiatique vit un rythme de construction vertigineux. La demande en sable y est tellement forte qu’elle a engendré un énorme trafic.
Ainsi en Inde, la mafia du sable est extrêmement puissante. C’est elle qui contrôle tout le secteur de la construction. Chaque année, 2 milliards de tonnes de sable sont exploités illégalement dans le pays pour alimenter le boom de la construction immobilière soit plus de cinq fois la consommation de la France.
Singapour qui poursuit sa frénésie importerait illégalement du sable des pays voisins comme le Cambodge, le Vietnam, la Malaisie et bien sûr l’Indonésie. Ceux-ci, conscients de l’impact catastrophique de l’exploitation du sable de leurs plages ont officiellement stoppé les échanges. Pourtant, Singapour continue son trafic au travers de dealers et de sociétés fictives, avec la complicité de l’État.
Bien sûr, ce phénomène ne s’arrête pas aux frontières asiatiques. Le problème est mondial : les mafias viennent voler du sable partout. Le pillage du sable touche tous les pays du monde, sur tous les continents.
Au Maroc par exemple, la demande de construction explose. Le pays est devenu l’Eldorado des retraités et est depuis longtemps une destination privilégiée des vacanciers. Et il faut bien loger tout ce petit monde. Aujourd’hui, on estime que la mafia contrôle 45 % du sable des plages marocaines et sénégalaises. De plus, ce sable est bien souvent mal lavé. Il n’est donc pas débarrassé du sodium présent dans l’eau de mer, ce qui rend les constructions vulnérables à la corrosion.
Dans la famille des pays qui risquent le plus de voir disparaitre leurs plages, on compte aussi : le Cap-Vert, le Kenya, la Nouvelle-Zélande et la Jamaïque…
Protéger le sable
L’exploitation des ressources fait l’objet d’actions, d’ordre politique ou privé. On le voit pour l’eau par exemple, même si le chemin est encore long. En revanche, la question du sable n’est jamais à l’ordre du jour chez les plus hautes instances. Pourtant, il est plus qu’urgent de changer nos méthodes de construction afin de nous passer du sable.
D’autant plus que des alternatives existent déjà : la paille, la terre, le bois, les matériaux recyclés (dont le béton), les cendres d’incinération… On a même découvert que le verre, pouvait être à nouveau transformé en sable. Cette piste serait plus qu’intéressante à exploiter pour la construction, d’autant plus qu’¼ du verre jeté n’est jamais recyclé.
Lors de la sortie du rapport Sable et développement durable (Sand and sustainability : Finding new solutions for environmental governance of global sand resources) en mai 2019, Joyce Msuya, Directrice exécutive par intérim de l’ONU Environnement a déclaré : « Nous dépensons notre ‘budget’ de sable plus rapidement que nous ne pouvons le produire de façon responsable. En améliorant la gouvernance des ressources mondiales en sable, nous pouvons mieux gérer cette ressource essentielle de manière durable et démontrer que l’infrastructure et la nature peuvent aller de pair »(1).
Article mis à jour et republié