La loi votée au Sénat représente la seconde grande loi sur la biodiversité après celle de 1976. Au-delà de la protection de la biodiversité, cette loi permet également de « reconquérir la biodiversité » et de ne pas opposer économie et protection de l’environnement. « Avec cette loi nous cherchons à reconquérir notre capital naturel qui est la base de notre économie car il n’y a pas d’un côté les enjeux de la biodiversité et d’un autre les enjeux économiques. Comme aime à le dire Sharan Burrow, Secrétaire Générale de la Confédération syndicale internationale, il n’y a pas d’emplois sur une planète morte. » souligne Pascal Canfin, directeur général du WWF France.
Une transcription du protocole de Nagoya dans la loi française
Ce texte doit permettre de transcrire dans la loi française le protocole international de Nagoya que la France a ratifié et qui vise à encadrer l’exploitation des ressources génétiques naturelles et lutter contre la biopiraterie. L’enjeu est de taille avec 90 % de la biodiversité concentrée dans les pays du Sud et 90 % des brevets liés à l’utilisation des substances actives issues de la biodiversité détenus par les États-Unis, l’Europe et le Japon à travers leurs industries pharmaceutiques, agrochimiques, biotechnologiques, cosmétiques et semencières.
Qu’est-ce que la biopiraterie ?
Plusieurs définitions existent. Nous retiendrons celle de la Fondation Danièle Mitterrand, France Libertés : « la biopiraterie est la privatisation du vivant et des savoirs traditionnels sur la biodiversité, notamment par le biais de brevets. Elle désigne l’appropriation illégitime des connaissances traditionnelles des peuples autochtones sur l’usage des ressources génétiques, sans leur consentement et sans partage des bénéfices liés à la valorisation des ressources. »
Concrètement, comment cela se passe ?
Une entreprise envoie un représentant étudier une communauté autochtone et l’utilisation des plantes qui les entourent, souvent sous couvert de recherches scientifiques. Ce représentant rapporte un échantillon ou des échantillons des plantes utilisées par cette communauté et les confie au laboratoire de son entreprise.
Les chercheurs extraient alors le principe actif, c’est-à-dire la molécule qui possède les vertus recherchées. Un produit est alors élaboré à partir de cette substance pour lequel l’entreprise dépose un brevet en tant que « découvreuse » des bénéfices de la plante ramenée, exigeant alors le versement de royalties lors de l’utilisation de ce principe actif. En réalité, elle aura profité d’un savoir déjà existant.
Une loi qui permet de reconnaître la biopiraterie comme un vol
Plusieurs cas de biopiraterie ont été dénoncés grâce à la société civile. C’est par exemple le cas du Neem, arbre originaire de l’Inde qui possède des propriétés insecticides, médicinales et cosmétiques et pour lequel 64 brevets avait été déposés par des compagnies agrochimiques américaines. La mobilisation de la société indienne avec Vandana Shiva en tête a permis de rendre caduque l’ensemble de ces brevets.
C’est également le cas pour le brevet déposé pour la création d’une huile, après la « découverte » par la société française Greentech de la substance active du Sacha Inchi, plante d’Amérique du Sud reconnue comme un excellent oléagineux. Là encore, la mobilisation de la société civile à permis le retrait total et définitif du brevet en octobre 2009.
Cependant, le flou juridique, qui existe actuellement autour de l’autorisation ou non de breveter le vivant, oblige les peuples détenteurs des savoirs et utilisateurs des ressources d’apporter la charge de la preuve qu’ils utilisaient et connaissaient les principes actifs des plantes avant le dépôt des brevets.
La loi proposée au Sénat permet de reconnaître la biopiraterie comme un vol. Pour Justine Richer, chargée du programme « Alternatives à la biopiraterie » à la Fondation France Libertés, c’est « clairement une avancée pour les peuples ».
Un processus de reconnaissance des communautés locales amélioré selon le WWF
Cette loi permet trois avancées importantes dans la reconnaissance des communautés locales. Tout d’abord toute utilisation de savoirs traditionnels ou l’utilisation de ressources génétiques devra être validée par les communautés. Cette validation s’effectuera à travers un comité territorial des parties prenantes chargées de conseillers l’autorité administrative. Enfin les chercheurs devront rendre compte des connaissances acquises et les communautés seront informées quand une autorisation de prélèvement de ressource génétique aura été donné.
Cependant, le protocole de Nagoya, dont découle la loi, reste ancré dans un modèle occidental avec le droit de « s’approprier la nature »
La Convention sur la diversité biologique ratifiée lors du protocole de Nagoya et dont découle ce projet de loi a comme but de « mettre en place un système d’accès aux ressources génétiques et aux savoirs traditionnels beaucoup plus équitable. À travers cette convention, on admet donc aussi que l’on peut très bien s’approprier la nature, lui donner une valeur marchande et l’inclure à un système capitaliste. Là, on se trouve assez loin des perceptions et des croyances de beaucoup de peuples autochtones. On reste ancré dans un modèle occidental », explique encore Justine Richer.
Or, sachant que les industries intéressées par des recherches sur le vivant sont concentrées dans les mains d’un nombre restreint d’acteurs privés qui ont donc comme objectif le profit, il est primordial d’assurer, par les lois et les traités internationaux la protection de la biodiversité et sa diversité par une interdiction de s’approprier le vivant.