Carolyn Steel est architecte, mais également passionnée par l’alimentation. Elle réussit à combiner sa passion de la ville et de la nourriture à travers ce livre en étudiant les liens complexes entre les deux. L’alimentation est une question centrale, la seule peut-être qui soit partagée par l’humanité entière. « Percevoir le monde à travers la nourriture permet d’en avoir une vision transversale […] Quand on se met à regarder le monde à travers le prisme de la nourriture, tout change », affirme-t-elle.
Nourrir la ville : les relations complexes des urbains avec la nourriture
Nourrir la ville est une question aussi vieille que la fondation des premières cités. Pour autant, aucun livre n’avait auparavant traité spécifiquement de la relation entre ville et nourriture comme le fait cet ouvrage.
À travers différentes thématiques, l’auteure aborde le cas spécifique de sa ville, Londres, mais réalise aussi un voyage dans le monde et l’Histoire pour dégager certaines problématiques communes. Au fil des différents chapitres, de « la terre » aux « déchets », elle retrace l’itinéraire de la nourriture de la campagne aux villes.
L’agriculture et la ville : quelles limites ?
En remontant le temps, on voit que la limite entre ville et campagne a souvent été assez ténue, et que certains phénomènes existent depuis des millénaires : l’agriculture urbaine par exemple qui connaît actuellement un retour dans nos villes existe depuis la création des cités. L’auteure rappelle même que jusqu’au XIXe siècle à Londres, les citadins élevaient des animaux de ferme dans les villes. Voire même, « certains cochons vivaient à l’intérieur des maisons, voire même sous les lits ».
Aujourd’hui, l’agriculture a été essentiellement reléguée dans les campagnes, dans des zones de production industrielles et polluées, loin de l’image bucolique que se fait souvent le citadin de la campagne.
De la terre à l’assiette : les chaînes d’approvisionnement
L’auteure pointe ensuite du doigt les chaînes d’approvisionnement de la nourriture, des campagnes aux villes. Gérées par l’immense complexe agro-industriel, cette chaîne est en réalité très fragile. En cas de pénurie, les villes n’ont une capacité de survie que de quelques jours. Or « les chaînes d’approvisionnement industrielles ont beau nous sustenter en tant qu’êtres urbains, nous nous comportons comme si elles avaient peu d’importance ».
Évolution de notre relation à la cuisine, passage des marchés à la « ville-supermarché », gestion de nos déchets : l’ensemble de la chaîne alimentaire est passée au crible en faisant des aller-retours entre l’Histoire et la situation actuelle.
La « sitopie » pour réconcilier ville et alimentation
Enfin, l’auteure propose de repenser l’évolution des villes à travers le prisme de la nourriture. Un enjeu indispensable quand on sait que la population urbaine devrait doubler d’ici 2050, quand les deux-tiers de la population mondiale devrait vivre en ville.
Elle propose le concept de « sitopie » (du grec sitos, nourriture) : comme les utopies antiques qui revoient le lien entre campagne et ville, la sitopie propose un espace où l’alimentation retrouve sa vraie valeur. « Une ville sitopique entretiendrait des liens forts avec son hinterland local grâce à un réseau en treillis avec des marchés actifs, des boutiques de proximité et un sens aigu de l’identité alimentaire (…). Ainsi, comme c’était le cas jadis, la ville serait en partie façonnée par la nourriture ».
Et la ville retrouverait aussi en partie une fonction de production avec des unités de production alimentaires dans ses interstices : toits potagers, caves et terrasses seraient en partie occupées à nourrir la ville. Pour que le citadin soit encore en lien avec ce qu’il mange.