« Pas question ! C’est totalement à l’encontre des valeurs que je veux leur transmettre : la tolérance, l’ouverture à l’autre, la non-violence ! » C’est une catégorique fin de non-recevoir qu’a opposé Sandra à la demande insistante de ses jumeaux de 7 ans : « Leur liste de Noël… elle m’a mise sur les nerfs », plaisante-t-elle. Car les deux petits y ont dessiné partout… des Nerf de toutes les couleurs : si vous ne connaissez pas cette marque d’armes jouets, c’est que vous n’avez pas vu jouer un enfant depuis longtemps !
Armes et munitions sous le sapin : la mode des Nerf
Le produit phare de Nerf, le blaster (pistolet à glissière) avec cartouches en mousse (NERF signifie « Non-Expanding Recreational Foam ») fait mouche dans les cours de récré depuis une bonne quinzaine d’années : leader international sur ce marché, la marque représente en France plus de 80 % de la catégorie sport/plein air dont font partie les « armes jouets »(1).
Les raisons d’un tel succès ? « La marque a des ambassadeurs qui plaisent aux enfants, comme Soprano, et elle développe actuellement la licence Fortnite, un des jeux vidéos préférés des jeunes ! » explique Delphine Faure, chef de produit sur ce secteur, chez King Jouet. « Elle essaie aussi de donner une orientation de plus en plus sportive au jeu, dans le style painting ou laser game, avec beaucoup d’animations en salle ».
![armes jouets, pistolet nerf](https://www.consoglobe.com/wp-content/uploads/2019/11/pistolet-nerf_shutterstock_1249934968-e1574936539296.jpg)
Un tournoi de Nerf © 8H / Shutterstock
Lors du dernier Kid Expo, en octobre, une véritable arène Nerf, au décor 100 % Fortnite, a d’ailleurs été montée pour attirer les jeunes combattants… Pas étonnant si le pistolet en plastique que réclament à toute force les jumeaux de Sandra, pour Noël, comme des milliers d’enfants dans le monde, c’est le blaster Nerf Fortnite ARL, pour recréer à la maison les fameuses battles du jeu online.
« Rien de très nouveau : aujourd’hui, les petits garçons imitent les héros de jeux vidéos, hier, les cow-boys ou les gangsters qu’ils voyaient dans les films… pas de quoi s’inquiéter » relativise le pédopsychiatre Patrice Huerre, auteur notamment de « Place au jeu ! Jouer pour apprendre à vivre » (Nathan).
Les jouets pistolets, une histoire de garçons ?
« Les enfants, et en particulier les garçons entre 3 et 6 ans, ont besoin d’extérioriser leurs pulsions violentes, leurs pensées agressives : le feu vert donné à ces pensées est essentiel pour ne pas les inhiber », souligne-t-il.
« Ce n’est pas choquant, d’avoir des pensées agressives, cela s’inscrit dans le développement des enfants : le jeu apprend justement à les canaliser. Bien sûr, jouer avec un pistolet, ça reste très sexué : les filles n’ont pas besoin de ça… L’arme permet aux garçons d’affirmer leur masculinité et de se rassurer sur leur sexe, anatomiquement parlant ! Si on refuse de leur en donner une, ils feront appel à leur imagination, ils utiliseront un bout de bois, ou même simplement… leur index ! » Delphine Faure approuve : « J’ai deux garçons, j’étais plutôt contre ce type de jouets et j’ai été très étonnée de voir qu’ils trouvent toujours le moyen d’en inventer un » !
En général, les papas sont moins étonnés… et moins hostiles : « Mon mari serait prêt à céder, après tout, il y a joué aussi… c’est moi qui fait barrage », remarque Sandra. Certains pères vont pourtant à l’encontre de ces idées « viriles ».
« Jouer avec une arme, je n’ai jamais aimé ça, même enfant… d’autant qu’en général, c’était moi qui me faisait braquer », plaisante Philippe. « Et aujourd’hui, alors que nous sommes dans un monde de plus en plus violent, je ne vois pas l’intérêt de perpétuer chez les garçons cette inclination guerrière ! Et pourquoi leur propose-t-on toujours des héros armés comme modèles, à travers les livres, les films, les séries ? »
![armes jouets](https://www.consoglobe.com/wp-content/uploads/2019/11/armes-jouets-factices_shutterstock_655845256.jpg)
Les enfants trouvent toujours le moyen de s’inventer des armes jouets © Yuriy Golub
Les pédopsychiatres s’entendent pourtant pour trouver cela… tout naturel : « L’enfant pense aussi en fonction de son corps et de sa génitalité » estime Stéphane Clerget, auteur de Nos enfants aussi ont un sexe. Comment devient-on fille ou garçon.
« Les filles perçoivent très vite que leur génitalité est à l’intérieur d’elles, c’est-à-dire qu’elle auront plus tard un bébé dans le ventre. Cela ne favorise-t-il pas les activités introspectives, l’imaginaire ? Les garçons, eux, réalisent que leur génitalité est extérieure. Ils sont plus dans la projection : ils lancent des projectiles, tirent au pistolet… Pour moi, c’est la métaphore de leur corps sexué. »
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