Les pressions s’accumulent : une population mondiale prévue de dépasser 9 milliards de citoyens d’ici 2050, contre 7 milliards aujourd’hui et 3 milliards en 1950. L’utilisation de ressources naturelles a été multipliée par 10 en un siècle. Et pourrait doubler de nouveau d’ici 2030, d’après le Stockholm Environment Institute.
Mégatendances – Malthus avait-il raison ?
La demande mondiale en énergie et en eau est aussi prévue d’augmenter, respectivement, de 30 % et 40 % au cours des 20 prochaines années. Et, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la demande en nourriture, en aliments pour le bétail, et en fibres textiles est prévue d’augmenter de 60 % d’ici 2050.
Sur la même période, la quantité de terres arables disponible diminuera de 1,5 % par an et par personne, toujours selon la FAO, si des politiques appropriées ne sont pas mises en oeuvre. Résultat : les Nations Unies ont évalué que, au niveau mondial et pour l’année 2015, que les pertes dues aux catastrophes s’élèveraient à environ 314 milliards de dollars.
Si la vision malthusienne ne s’est donc pas réalisée jusqu’ici, les gains de productivité compensant l’augmentation de la population, les limites à la croissance deviennent néanmoins de plus en plus visibles.
Main basse sur les terres arables
Poussés par les inquiétudes sur l’approvisionnement en nourriture, en eau, en énergie, le mouvement d’acquisition de terres étrangères s’est accéléré depuis une dizaine d’années, principalement dans les pays en voie de développement.
Entre 2005 et 2009, ce furent ainsi déjà pas moins de 470.000 kilomètres carrés qui furent achetés, l’équivalent de la taille de l’Espagne. Dans certains pays, notamment en Afrique, de grands pans des régions agricoles ont été vendus à des investisseurs étrangers, principalement d’Europe, d’Amérique du Nord, de Chine et du Moyen-Orient.
L’accaparement des terres, ou « land grabbing »
La course s’est réellement accélérée avec la crise alimentaire de 2008. On parle aujourd’hui de pratique d’accaparement des terres, en anglais « land grabbing », pour bien traduire cette notion de mainmise avide.
Cette politique consiste à vendre ou à mettre en location, entre 30 et 99 ans, à des États ou des fonds d’investissements étrangers d’immenses surfaces de terres arables, le plus généralement sans le consentement des populations autochtones, sur fond de corruption, et dans la plus grande opacité, dans des pays qui n’ont eux-mêmes bien souvent pas atteint l’autosuffisance alimentaire.
Au Kenya, dans le delta de la rivière Tana, un projet agricole qatari et trois autres de bio-carburants mettent ainsi en péril l’économie locale sur des dizaines de milliers d’hectares. Au Sénégal, ce sont 60 000 hectares qui ont récemment été acquis par la Chine pour cultiver et exporter le sésame vers Pékin. En échange, les Chinois apprendraient soi-disant aux paysans sénégalais à obtenir deux récoltes de riz par an.
En Éthiopie, en 2010, le gouvernement éthiopien a déplacé pas moins d’un million et demi de personnes dans quatre régions (Gambela, Afar, Somali, et Benishangul-Gumuz). Ce programme de « villagisation » forcée et d’expropriation des fermiers et des nomades a eu des conséquences dramatiques pour les peuples indigènes. 42 % des terres ont déjà été confisquées.
Etats-Unis vs Afrique ?
La majorité des terrains ainsi accaparés sont situés en Afrique. Six des dix pays les plus ciblés sont le Sud-Soudan, la République démocratique du Congo, le Mozambique, la République du Congo, le Libéria et la Sierra Leone. Mais la Papouasie-Nouvelle-Guinée, l’Indonésie, le Brésil et l’Ukraine sont également dans le top dix des pays les plus convoités.
Les investisseurs sont pour la plupart des investisseurs des pays riches membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : Etats-Unis, la plupart de l’Europe occidentale, et la plupart des autres pays à revenu élevé, qui représentent plus de la moitié des opérations.
Le champion, de loin, des opérations d’accaparement des terrains n’est pas la Chine, mais les Etats-Unis, avec 6,5 millions d’hectares sous contrat, plus de deux fois le niveau du deuxième pays investisseur , la Malaisie. La Chine n’est que onzième sur la liste.
Les cultures vivrières ne représentent qu’environ un quart de toutes les terres acquises. Les cultures de biocombustibles comme le sucre dominent, de même que les projets de foresterie. En Afrique, seulement 13 % des terres ainsi acquises le sont pour la nourriture.
Quand on voit le Liberia et la sierra-Léone sur la carte on comprend tout de suite le lien avec le fantôme Ebola.
La croissance est le problème, pas la solution…(Pierre RABHI)