De véritables autoroutes pour vélos sont prévues un peu partout en Europe : des pistes cyclables larges et éclairées, sans feux rouges ni carrefours et réservées aux vélos pour désengorger les villes du trafic automobile.
C’est le cas dans la région de la Ruhr en Allemagne où une dizaine de villes entre Duisbourg et Hamm doivent être reliées entre elles par des voies express, soit l’équivalent d’une centaine de kilomètres. D’autres projets de super pistes cyclables sont également en cours de réalisation à Londres au Royaume-Uni, à Gand en Belgique et à Malmö en Suède. En France, c’est la ville de Strasbourg qui se lance dans un Réseau Express Vélo qui doit permettre de relier le centre ville et la seconde couronne en 30 ou 40 minutes. Le principe de ces voies express est d’assurer un transport sans obstacle et sécurisé sur plusieurs kilomètres afin de faire du vélo un transport de masse pour des distances de plusieurs kilomètres.
Afin de comprendre les nouvelles possibilités que ces pistes offrent pour développer le vélo mais aussi leurs limites nous avons interrogé deux spécialistes du monde de la petite reine : Frédéric Héran, auteur du livre Le retour de la bicyclette, et Claire Schreiber, chargée d’études pour le Club des villes et territoires cyclables.
consoGlobe.com – Quels sont aujourd’hui les freins pour que le vélo devienne un moyen de transport de masse, tout particulièrement en France ?
Frédéric Héran : Il n’existe pas de spécificité culturelle dans la capacité à utiliser ou non le vélo. La part plus ou moins importante du vélo dans les transports découle des transformations économiques survenues dans les années 1930 et de la place qu’a pris la voiture dans les différents pays d’Europe. Il y avait beaucoup de vélos en France jusque dans les années 1950, et même jusqu’aux années 1970 dans les villes ouvrières. Mais on disait alors que ces villes avaient « un retard de motorisation ».
Et, en effet, entre les années 1950 et 1960, le vélo a été progressivement vu comme un moyen de transport pour les pauvres et ceci dans tous les pays européens même au Danemark. Ainsi entre les années 1930 et les années 1960, la pratique du vélo a été divisée par trois au Danemark et par six en France et en Grande-Bretagne.
S’est ajouté à cela pour la France, le développement d’un marché extrêmement dynamique pour les cyclomoteurs. En France, les deux roues motorisés puis les 2 CV ont tué le vélo. A l’inverse aux Pays-Bas, il n’ y a pas eu cette industrie de l’automobile. Ainsi, même si la voiture a remplacé le vélo, ceci s’est passé à moins grand échelle. Quand en 1975 la crise pétrolière est arrivée, le vélo a pu reprendre progressivement sa place aux Pays-Bas.
De plus, le Pays-bas est le pays le plus urbanisé d’Europe avec des centre-villes historiques. Il y a donc eu une levée de bouclier de la population quand les voitures sont arrivées en grand nombre dans les centre-villes avec un risque de les défigurer. Le trafic automobile a alors été encadré et l’on a découvert que quand on calme le trafic automobile, c’est le vélo qui est gagnant.
Il est donc nécessaire, si nous voulons que le vélo se développe, de réduire et réguler le transport automobile. Ainsi les autoroutes pour vélo ou super-pistes cyclables ne servent à rien si le trafic automobiles et celui des deux roues motorisées n’est pas calmé. Le vélo est en plein boom en France là où l’on calme le trafic.
Claire Schreiber : En effet, la réduction du trafic routier et sa régulation est une condition majeure au développement du vélo. Il sera d’ailleurs intéressant de suivre la ville de Grenoble qui à fait le choix de passer toute son agglomération en zone 30.
Mais il existe également d’autres barrières à soulever. Tout d’abord, la représentation encore associée au vélo d’un transport lent, réservé aux petites distances, inférieures à 2 ou 3 kilomètres. Ensuite, même si en effet les projets de voies rapides pour vélo ne suffisent pas, la réalisation d’infrastructures où les cyclistes peuvent rouler de façon sécurisée est primordiale.
Il est également nécessaire de proposer des parcours sans interruptions, ce que permettent les voies express vélo et proposer des lieux sécurisés pour garer les vélos. Enfin, il est nécessaire de communiquer sur les bienfaits du vélo, comme activité sportive quotidienne, pour la réduction des risques cardio-vasculaires. Et d’éduquer les personnes à la bonne pratique du vélo car beaucoup de personnes « ne savent pas » faire du vélo, tout particulièrement en ville. Le développement des vélos écoles serait un bon moyen d’éduquer la population à cela.
consoGlobe.com – Si la pratique du vélo augmente fortement dans les centres-villes, cela n’est pas vrai en périphérie ou pour les déplacements inter-villes. Quel serait les conditions pour augmenter la part de ces déplacements en vélo ? Les super pistes cyclables express sont-elles un moyen ?
Frédéric Héran : Oui, si les voies express sont considérées comme un élément du système vélo et non la solution à elles seules. Le système vélo est dans l’état du système automobile d’il y a 80 ans, c’est-à-dire une absence de continuité des voies, des revêtement non adaptés.
Il faut donc faire progresser ce système vélo et au regard des faibles coûts que cela représente par rapport au système voiture, celui-ci peut être performant beaucoup plus rapidement que le temps mis pour rendre performant le système voiture.
Si l’on regarde le cas de Strasbourg, la ville dispose déjà de trois pistes très roulantes qui suivent les canaux et arrivent en centre-ville. Celles-ci sont victimes de leur succès et doivent être élargies. Le budget serait de 20 à 30 millions d’euro, ce qui semble poser problème. Cependant, parallèlement, un projet de contournement routier de la ville est lui maintenu alors qu’il coûte 200 millions aux deniers public et qu’il ne permettra le déplacement que d’un nombre restreint de voitures.
De plus ce contournement passera dans les terres agricoles les plus riches de la région. Or si l’on détournait seulement 15 % de ce budget, un système vélo performant pourrait être mis en place sur l’ensemble de la ville de Strasbourg.
Pour la route aujourd’hui et malgré la COP21, il y a encore tout l’argent que l’on souhaite. Il ne faut pas embêter les automobilistes. La France est encore un pays extrêmement riche, il faut juste faire des choix que l’on ne veut aujourd’hui pas faire. Il est nécessaire que l’ensemble des déplacements urbains et périurbains soient cohérents et cela nécessite des aménagements qui demandent un minimum de budget.
Claire Schreiber : Afin d’augmenter le nombre de déplacements en vélo et tout particulièrement les trajets périphéries-centre-villes, il est nécessaire d’avoir une approche en terme de « boucles de déplacements », c’est-à-dire prendre en compte l’ensemble des trajets que la personne doit effectuer sur une journée et permettre que l’ensemble de ces trajets puissent s’effectuer par le vélo sur des pistes cyclables sécurisées ou qu’un système de transport intermodal soit proposé tout particulièrement au niveau des gares.
Cependant, l’un des freins majeurs au développement d’infrastructures inter-urbaines et périurbaines est la multiplicité des acteurs et la répartition des compétences qui ne coïncident pas toujours avec les lieux où les freins au développement du vélo se font sentir. Ainsi, dans beaucoup de petites ou moyennes villes ou en périphérie des villes, les routes sont départementales et les capacités de financement souvent au niveau de la région.
Il est donc nécessaire que les différents acteurs se réunissent et mettent en place des systèmes de gouvernance qui permettent d’assurer la continuité des déplacements vélo. Mais les choses changent dans ce domaine et les différents acteurs nécessaires à la mise en place d’infrastructures vélos (villes, collectivités, départements, régions…) ont de plus en plus l’habitude de travailler ensemble.
consoGlobe.com : L’avenir du vélo vous apparaît-il donc pouvoir s’améliorer dans les prochaines années ?
Frédéric Héran : Clairement oui. On voit aujourd’hui des manières de faire se démocratiser qui paraissaient encore impossibles il y a dix ans. C’est par exemple le cas des vélos dans les couloirs de bus, les contre-sens cyclables ou le tourner à droite au feu. Les bagarres sont gagnées de plus en plus facilement.
Il est maintenant important de faire connaître les différents types de vélos qui existent et permettent de faire des distances supérieures à 10 kilomètres, tout particulièrement le Vélo à Assistance Électrique (VAE) ou même des distances de 20 kilomètres ou plus avec le vélo mobile. Le vélo est devenu un système technologique complexe, rempli d’innovation.
Claire Schreiber : Oui, les choses changent. Deux exemples frappants sont la ville de Paris qui a engagé 150 millions d’euros pour la mise en place de son Plan Vélo ou encore l’objectif de part modale à deux chiffres de la ville de Strasbourg. Il y a également de nombreuses villes qui font des expérimentations pour arriver à augmenter la part du vélo dans les transports. Enfin les obligations de stationnement en gare et en gare routière poussés par le Club des parlementaires pour le vélo permettront aussi de développer ce mode de transport.
Bonjour,
merci de ne pas négliger ceci : la France, pays du Tour de France, ne parle de vélo que quelques jours par an. Sinon, rien…
A quand un Tour de France sur pistes cyclables et voies vertes, afin que les millions distribués à la réfection des surfaces de roulement profitent aux cyclistes quotidiens et non pas au final aux… automobilistes… Merci