C’est l’histoire d’un homme et d’un petit village de l’Eure. Daniel Gascard habite à Ecardanville, 535 habitants. Il est à l’origine de la création d’une AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne). Fait plutôt rare, car paradoxalement, les AMAP sont plutôt plus proches des villes. Mais même à la campagne, les difficultés existent aussi !
L’amap d’Ecardanville
Daniel Gasgard nous raconte son histoire et ses combats pour faire renaître une agriculture bio.
Daniel Gascard, Président de l’AMAP Ecardanvilloise ( au centre)
avec le nouveau bureau de l’association, élu en novembre 2008
Consoglobe : Qu’est-ce qui vous a poussé à créer une AMAP de campagne ?
Daniel Gasgard : Il est toujours intéressant de comprendre comment peut naître une AMAP. Dans mon cas, c’est suite à une maladie cardiaque. Le médecin m’a dit : « Il faut manger sainement ». Je n’avais pas compris, car je ne mangeais pas de boites de conserve, ni de produits tout préparés. Il me répondit : « Vous savez que les produits que vous achetez frais dans vos hypermarchés sont traités à un point tel qu’ils sont responsables d’une grande partie des maladies cardio-vasculaires, des cancers et surtout de l’obésité. La cause : les traitements phytosanitaires utilisés pour cultiver les légumes et d’autres produits dans la nourriture pour le bétail. Puis dans les rayons des hyper pour rafraichir des légumes en fin de course et la remballe de la viande dans les hyper quand celle ci n’est plus présentable ».
Pour éviter tout ça, il faut manger bio. Or pour moi, bio et cher sont associés ! Je n’étais pas du tout convaincu. Pendant une attente à l’hôpital, je suis tombé sur un article de journal qui expliquait les AMAP et l’expérience de son fondateur, Daniel Vuillon. Je l’ai contacté. Et j’ai décidé de monter la même chose dans mon village l’année dernière, en 2007.
Combien êtes-vous d’adhérents à l’AMAP aujourd’hui ?
Daniel Gasgard : 232 ! La moitié du village !
Comment expliquez-vous cette association quasi systématique du bio = cher que font les néophytes ?
Daniel Gasgard : Il y a un vrai lobby sur le marché de la nourriture mondiale pour dire le bio=cher. Or, ce n’est pas vrai ! Il faut redevenir raisonnable. Sans avoir la prétention de mettre les grandes surfaces à genoux, il faut réduire la voilure.
Votre village, en pleine campagne normande, devait pourtant déjà avoir des fermes en activité ? La création de votre AMAP a du être facile ?
Daniel Gasgard : Non, détrompez-vous ! J’ai connu 5 fermes à Ecardanville quand j’étais enfant. Elles ont toutes disparu ! Nous sommes sur le plateau de Madrie, en Haute-Normandie, sur des terres sableuses, pas trop glaiseuses, de cultures céréalières, sans gros rendement. Beaucoup sont en jachère. Et il n’y a pas de maraîcher. Et encore moins de culture bio.
Consoglobe : S’il n’y a pas de maraîcher, et encore moins de bio, où allez-vous chercher les légumes de votre AMAP ?
Daniel Gasgard : Il faut aller vers le val de Rueil pour en trouver. Nous travaillons actuellement avec l’association Solidaire, une association qui fait travailler des personnes en difficultés pour les réinsérer. Ils nous fournissent les légumes bio qu’ils cultivent.
N’y-a-t-il pas d’autres solutions possibles, moins lointaine – et moins polluantes -, plus près du village ?
Daniel Gasgard : J’avais bien demandé aux producteurs locaux du marché de Louviers s’ils étaient d’accord pour passer en bio. Aucun n’a été d’accord ! Ils sont plein d’a priori : ils estiment que le bio est difficile et pas assez rentable. C’est terrible de voir que l’agriculture française est capable de produire, mais ne sait pas se vendre et encore moins se remettre en question ! Je ne suis pas un écologiste, car je ne comprends pas qu’un parti puisse se revendiquer d’un sujet aussi global. Mais j’aimerai que les choses changent. On ne peut pas laisser la terre comme elle est actuellement à nos enfants !
Il ne vous reste plus qu’à vous transformer en VRP du bio et à convaincre les agriculteurs autour de votre village !
Daniel Gasgard : Oui. Même si la population du village a beaucoup changé, avec plus de rurbains qui pratiquent plutôt le jardinage que le maraîchage. Notre but aujourd’hui est de créer du maraîchage à proximité du village et donc de transformer les terres en jachère en terre de cultures bio. Une autre solution est d’acheter du foncer agricole. Mais c’est de plus en plus difficile ! Nous travaillons donc en ce moment sur les deux sujets : avec le GRAB de Haute-Normandie pour former des porteurs de projets en maraîchage bio, avec Terres de liens pour trouver du foncier agricole.
C’est une situation paradoxale, puisque vous avez beaucoup de consommateurs de bio, mais peu de producteurs !
Daniel Gasgard : Effectivement. Nous avons des demandes d’adhésion tous les jours. La demande est bien là, et c’est l’offre qui ne suit pas !
Une AMAP signifie aussi que les consommateurs soient des consomm-acteurs. Comment arrivez-vous à gérer aussi cette implication ?
Daniel Gasgard : C’est aussi un sujet important. Il faut régulièrement faire des rappels à l’ordre ! Une AMAP n’est pas un supermarché du bio. On ne vient pas seulement chercher son panier de légumes, on doit participer à la permanence de distribution de ses paniers chaque semaine. J’ai trouvé le système en affichant le planning du mois et en demandant à ce que chacun s’inscrive.
On est suffisamment nombreux pour ne venir qu’une ou deux fois par an. Un autre argument pour motiver les adhérents est de leur faire visiter les fermes des producteurs avec lesquels nous travaillons. Car nous n’avons pas que des légumes dans le panier. Il y a aussi un éleveur de lapins et de poulets bio, à qui nous avons rendu visite en finissant par un déjeuner. Comprendre leur travail, voir les animaux est très impliquant. Et puis nous sommes allés voir l’AMAP la plus proche, à Beaumainville, qui elle propose surtout des légumes oubliés.
Que trouve-t-on en ce mois de décembre 2008 dans les paniers de votre AMAP ?
Daniel Gasgard : Les légumes d’hiver. Betteraves crues et cuites, carotte, céleri, choux, endives, mâche, potimarron, salade verte, coulis de tomates en pots et pommes de terre. Et la viande est en commande tous les 2 mois, avec un minimum de 20 poulets pour que l’on soit livré. La prochaine est en janvier.
Avez-vous un message à transmettre à tous les sceptiques du bio ?
Daniel Gasgard : J’ai envie de leur dire qu’ils pensent à leur santé ! Ils doivent avoir en tête qu’ils ingèrent 1,2 kg de produits chimiques en mangeant de façon conventionnelle aujourd’hui. Manger bio, c’est agir sur sa santé, mais aussi sur l’écosystème. On en tire un mieux être incomparable. On mange un peu moins, car la sensation de satiété vient plus vite grâce aux apports nutritionnels beaucoup plus importants.
Et à ceux qui sont déjà sensibles au bio ?
Daniel Gasgard : Qu’ils essaiment la culture biologique tout autour du globe ! Pour que la prise de conscience soit partagée. Il ne faut pas avoir peur du bio ! Pour finir, je cite toujours Saint-Exupéry : « Nous avons hérité de la terre de nos parents, nous empruntons celle de nos enfants ».
Notre coup de coeur
L’engagement exemplaire d’un homme qui a su changer d’avis et se confronter à des problématiques autour de l’agriculture biologique qu’il n’attendait pas et pour lesquelles il n’était pas préparé, mais qu’il a su néanmoins résoudre à force de motivation et de conviction.
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