« Pas question ! C’est totalement à l’encontre des valeurs que je veux leur transmettre : la tolérance, l’ouverture à l’autre, la non-violence ! » C’est une catégorique fin de non-recevoir qu’a opposé Sandra à la demande insistante de ses jumeaux de 7 ans : « Leur liste de Noël… elle m’a mise sur les nerfs », plaisante-t-elle. Car les deux petits y ont dessiné partout… des Nerf de toutes les couleurs : si vous ne connaissez pas cette marque d’armes jouets, c’est que vous n’avez pas vu jouer un enfant depuis longtemps !
Armes et munitions sous le sapin : la mode des Nerf
Le produit phare de Nerf, le blaster (pistolet à glissière) avec cartouches en mousse (NERF signifie « Non-Expanding Recreational Foam ») fait mouche dans les cours de récré depuis une bonne quinzaine d’années : leader international sur ce marché, la marque représente en France plus de 80 % de la catégorie sport/plein air dont font partie les « armes jouets »(1).
Les raisons d’un tel succès ? « La marque a des ambassadeurs qui plaisent aux enfants, comme Soprano, et elle développe actuellement la licence Fortnite, un des jeux vidéos préférés des jeunes ! » explique Delphine Faure, chef de produit sur ce secteur, chez King Jouet. « Elle essaie aussi de donner une orientation de plus en plus sportive au jeu, dans le style painting ou laser game, avec beaucoup d’animations en salle ».
Lors du dernier Kid Expo, en octobre, une véritable arène Nerf, au décor 100 % Fortnite, a d’ailleurs été montée pour attirer les jeunes combattants… Pas étonnant si le pistolet en plastique que réclament à toute force les jumeaux de Sandra, pour Noël, comme des milliers d’enfants dans le monde, c’est le blaster Nerf Fortnite ARL, pour recréer à la maison les fameuses battles du jeu online.
« Rien de très nouveau : aujourd’hui, les petits garçons imitent les héros de jeux vidéos, hier, les cow-boys ou les gangsters qu’ils voyaient dans les films… pas de quoi s’inquiéter » relativise le pédopsychiatre Patrice Huerre, auteur notamment de « Place au jeu ! Jouer pour apprendre à vivre » (Nathan).
Les jouets pistolets, une histoire de garçons ?
« Les enfants, et en particulier les garçons entre 3 et 6 ans, ont besoin d’extérioriser leurs pulsions violentes, leurs pensées agressives : le feu vert donné à ces pensées est essentiel pour ne pas les inhiber », souligne-t-il.
« Ce n’est pas choquant, d’avoir des pensées agressives, cela s’inscrit dans le développement des enfants : le jeu apprend justement à les canaliser. Bien sûr, jouer avec un pistolet, ça reste très sexué : les filles n’ont pas besoin de ça… L’arme permet aux garçons d’affirmer leur masculinité et de se rassurer sur leur sexe, anatomiquement parlant ! Si on refuse de leur en donner une, ils feront appel à leur imagination, ils utiliseront un bout de bois, ou même simplement… leur index ! » Delphine Faure approuve : « J’ai deux garçons, j’étais plutôt contre ce type de jouets et j’ai été très étonnée de voir qu’ils trouvent toujours le moyen d’en inventer un » !
En général, les papas sont moins étonnés… et moins hostiles : « Mon mari serait prêt à céder, après tout, il y a joué aussi… c’est moi qui fait barrage », remarque Sandra. Certains pères vont pourtant à l’encontre de ces idées « viriles ».
« Jouer avec une arme, je n’ai jamais aimé ça, même enfant… d’autant qu’en général, c’était moi qui me faisait braquer », plaisante Philippe. « Et aujourd’hui, alors que nous sommes dans un monde de plus en plus violent, je ne vois pas l’intérêt de perpétuer chez les garçons cette inclination guerrière ! Et pourquoi leur propose-t-on toujours des héros armés comme modèles, à travers les livres, les films, les séries ? »
Les pédopsychiatres s’entendent pourtant pour trouver cela… tout naturel : « L’enfant pense aussi en fonction de son corps et de sa génitalité » estime Stéphane Clerget, auteur de Nos enfants aussi ont un sexe. Comment devient-on fille ou garçon.
« Les filles perçoivent très vite que leur génitalité est à l’intérieur d’elles, c’est-à-dire qu’elle auront plus tard un bébé dans le ventre. Cela ne favorise-t-il pas les activités introspectives, l’imaginaire ? Les garçons, eux, réalisent que leur génitalité est extérieure. Ils sont plus dans la projection : ils lancent des projectiles, tirent au pistolet… Pour moi, c’est la métaphore de leur corps sexué. »
Lire page suivante : Comment les enfants utilisent les armes jouets ?