En juin dernier, la Fondation de France, qui soutient chaque année 10.000 actions pour « construire une société plus digne et plus juste », a attribué un prix national et un prix local à Citad’elles : double reconnaissance pour ce magazine à vocation de réinsertion, de valorisation, d’émancipation… mais aussi, excellent outil d’information. Car le regard porté sur la société, par ces observatrices qui en sont exclues, est suffisamment détaché pour être impartial, et pour aller fouiller en profondeur – en prison, on a tout le temps de creuser les sujets !
Citad’elles, un autre regard sur la presse féminine
Citad’elles, magazine féminin de société bien particulier, s’adresse à toutes… mais une partie non négligeable de son lectorat se trouve derrière les barreaux. Et ses journalistes, pour mieux observer la société, ne partiront jamais en reportage… et font leurs interviews exclusivement par téléphone, ou au parloir ! Car toutes purgent de longues peines au centre pénitentiaire de Rennes.
« On trouve dans Citad’elles ce que l’on trouve dans un magazine féminin classique… mais aussi une dimension plus grave, un supplément d’âme, liés au contexte de sa création », témoigne Pierre-François Lebrun, qui a réalisé en 2017 un documentaire sur cette initiative.
Des sujets de société avec un point de vue différent
Le magazine n°20 parle des « sorcières, diseuses de sort et putains du diable ». Une passionnante réflexion sociétale, de Jeanne d’Arc (« brûlée parce qu’elle dérangeait ? ») à ces « femmes leader qui peuvent faire peur », sorcières modernes d’une société qui diabolise toujours et encore le sexe féminin… Mais aussi, une question qui parle tout particulièrement aux lectrices de Citad’elles : « la prison fabrique-t-elle des sorcières ? »
Pour y répondre, une interview bien menée du Dr Pascale Giravalli, médecin psychiatre rattachée à la prison des Baumettes, à Marseille, et le témoignage émouvant d’une détenue, qui parle de « la dureté des relations entre femmes » parmi les « longues peines ».
Certes, les conditions d’enquête et de rédaction sont particulières, mais n’excluent pas un vrai travail de recherche – rendu plus difficile, non seulement par l’absence de déplacements, mais aussi par l’accès rationné à Internet ou à d’autres médias.
En conférence de rédaction, les propositions de sujets affluent pourtant, souvent inspirées par un reportage vu à la télévision, un article lu, une réflexion sur un thème qui touche particulièrement – quand l’une des participantes, par exemple, propose un article sur les liens entre parents et enfants incarcérés, elle fond en larmes.
Quand on se demande pourquoi les salaires sont aussi bas en milieu carcéral, les discussions fusent, l’interview envisagée passionne déjà…
Certes, le choix des sujets passe par la direction pénitentiaire. Mais les sujets censurés, à la relecture, sont rares. Chaque numéro, d’une cinquantaine de pages, est publié à 600 exemplaires et mis en ligne, pour une lecture gratuite, sur le site Internet du journal Citad’elles.
Lisez-le, pour aider celles qui l’écrivent à entrouvrir les barreaux… mais aussi, pour le plaisir !
Le site du magazine : citadelles.org