Jour après jour, notre actualité se nourrit de mauvaises nouvelles environnementales, dont celles concernant le climat. Un récent rapport du GIEC publié en 2018 nous met dramatiquement en garde sur la différence d’impact entre une hausse de température de 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle et une hausse de plus de 2°C, et ce plus particulièrement dans des régions du monde avec lesquelles nous devons nous sentir solidaires.
Avec ces projections en tête, il n’est plus possible d’ignorer la réalité des pratiques des divers acteurs de la société : il faut tâcher d’enrayer les pratiques inacceptables et d‘encourager les pratiques vertueuses, dont celles des entreprises.
Comment s’assurer que ces acteurs de la vie économique aient pour objectif une « économie 1,5°C », qu’ils se questionnent systématiquement « 1,5°C » et se projettent « 1,5°C » dans la conception de leurs projets et, dans leurs actions ? Pourquoi certains acteurs agissent-ils de façon responsable et d’autres non ? Que faire pour inciter l’ensemble des entreprises à améliorer leur performance environnementale, à mieux prendre en compte les enjeux environnementaux dans leur fonctionnement, et dans leurs activités ?
La Fabrique Écologique – Quelle prise en compte de la voix de l’environnement dans l’entreprise ?
Dans le cadre de la loi PACTE, l’article 1833 du Code civil dispose maintenant, dans sa définition de l’objet d’une entreprise, que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
Les enjeux sociaux sont notamment portés dans l’entreprise par les instances représentatives du personnel, y compris dans des conseils d’administration. Mais quid des enjeux environnementaux ?
C’est pour répondre à cette question que La Fabrique Écologique a mis en place le groupe de travail « Quelle prise en compte de la voix de l’environnement dans l’entreprise ? » dont la note est actuellement ouverte aux commentaires. Cette note s’adresse à toute entreprise de plus de 50 personnes.
À ce stade, La Fabrique Écologique émet 3 recommandations fortes pour porter la voix de l’environnement dans les entreprises. Celles-ci n’ont pas vocation à être rendues obligatoires par une réglementation, mais à être mises en place de façon volontaire et à encourager le dialogue autour des enjeux environnementaux à chaque niveau de l’entreprise.
Les recommandations de La Fabrique Écologique
Nous en détaillons ci-après les deux premières. La première concerne les salariés, la deuxième traite de la gouvernance de l’entreprise.
Recommandation #1 du Groupe de travail : créer dans l’entreprise une fonction de médiateur environnement
La criticité des enjeux environnementaux et les récentes controverses écologiques initiées par les lanceurs d’alerte, nous démontrent à quel point l’implication de tout le personnel est indispensable et combien l’expression de tous doit être favorisée et facilitée.
Cette expression concerne aussi bien les mauvaises pratiques qu’il est important de faire « remonter » pour les traiter le plus tôt possible, que des bonnes pratiques à diffuser au sein de l’entreprise.
Des informations de ce type ne remontent-elles pas déjà par le biais de la hiérarchie, des responsables HSE ou RSE ? Dans de nombreux cas, sans doute. Mais, du fait de la lourdeur de certaines organisations hiérarchiques et de l’importance des charges de travail, il est fréquent que certaines informations restent ignorées et ne soient pas prises en considération.
D’où cette proposition de créer une fonction de référence en matière d’environnement : le médiateur environnement. Son rôle ? Renforcer la diffusion de la voix de l’environnement et sécuriser le système d’alerte interne pour les employés au sein de l’entreprise.
Ce médiateur environnement doit être reconnu pour son indépendance et sa capacité d’être un médiateur éthique agissant en toute déontologie. Une entreprise pourrait d’ailleurs décider de faire porter cette fonction par le médiateur éthique, s’il en existe un, en insistant sur le respect de l’environnement dans sa charte éthique.
Les employés ont des moyens pour contacter (email, téléphone) ce médiateur qui est chargé de relayer les informations pertinentes aux organes de gouvernance, et de protéger la personne si les circonstances sont assez graves pour rentrer dans le schéma du lanceur d’alerte.
Le médiateur pourra intervenir au cas où le système managérial ne suffirait pas : en effet, à la différence des responsables HSE ou RSE, il est plus mobile dans l’entreprise et ne prend en charge que les sujets environnementaux.
À l’aune des challenges environnementaux actuels, il est de l’intérêt de chaque entreprise de créer cette fonction de médiateur environnement.
Recommandation #2 : intégrer un·e représentant·e de la Nature et des générations futures au Conseil d’Administration
La criticité des enjeux environnementaux et, les récentes controverses environnementales liées aux activités de certaines entreprises, nous démontrent à quel point la gouvernance de l’entreprise doit considérer les enjeux environnementaux comme une de ses priorités.
La nécessité d’une sensibilisation et de l’implication des Conseils de Gouvernance est une évidence, qu’il s’agisse d’un conseil d’administration, d’un conseil de surveillance ou d’un conseil de famille.
Mais la plupart des entreprises ne sont pas spécialisées dans le domaine de l’environnement, et la formation des administrateurs est encore aléatoire. Une formation des administrateurs aux enjeux environnementaux ne peut-elle contribuer à une meilleur pris en compte de ces enjeux ? Sans doute. C’est d’ailleurs une des bonnes pratiques proposées dans le Guide à la troisième recommandation.
Mais sommes-nous convaincus que des administrateurs, dans toutes les entreprises, y compris les plus grandes, aient le temps de suivre les formations nécessaires et la compétence pour pouvoir questionner la politique et la performance environnementale de l’entreprise ?
Nous pensons qu’il est de l’intérêt pour les entreprises d’ouvrir leurs instances de gouvernance à l’environnement en intégrant une personne qualifiée extérieure qui soit garante de la bonne prise en compte de l’environnement, y compris dans les enjeux à long terme, dans les décisions stratégiques et opérationnelles de l’entreprise.
Cette personne assumerait le rôle de « Représentant de la Nature et des Générations Futures » et participerait au Conseil de gouvernance.
De multiples profils peuvent être considérés : experts environnementaux, de droit de l’environnement, d’associations, issus d’administrations ? À voir selon le type d’entreprise, sa taille, son activité, sa culture.
Dans l’idéal cet administrateur aura une expérience du monde de l’entreprise au cours de sa carrière, lui donnant la compréhension des enjeux internes à l’entreprise et conséquemment la crédibilité et l’écoute nécessaire au sein du Conseil de gouvernance.
Bien que le choix d’un tel représentant de la Nature et des générations futures ne soit pas aisé, son intégration réussie ne peut qu’être bénéfique pour l’entreprise et pour notre environnement dans une approche de création de valeur partagée.
Quelle suite pour le projet de note ?
De nombreuses remarques et suggestions vont contribuer à revoir la rédaction de cette note, ses recommandations et son guide des bonnes pratiques qui est l’objet d’une troisième recommandation.
Elles ont été émises lors d’un atelier co-écologique ouvert au public en septembre dernier et seront complétées par celles issues du débat collaboratif sur le site internet de La Fabrique Écologique. Nous espérons que les entreprises considéreront avec ouverture ces recommandations pour porter la voix de l’environnement dans l’entreprise.
Pour consulter la note et participer au débat collaboratif, rendez-vous ici
Mathilde Craker et Gérard Langlais pour La Fabrique Écologique
Illustration bannière : – ©Waraporn Wattanakul