Toute entreprise souhaitant affirmer que ses produits ou services sont « neutres en carbone » devra prochainement mettre à disposition des consommateurs, sur son site Internet, un rapport prouvant la réalité de cette allégation. Mais les exigences relatives aux obligations à remplir sont délibérément peu élevées.
Bientôt du pétrole « neutre en carbone » ?
Avant même le scandale TotalEnergies, l’encadrement de la publicité visant à éviter le « greenwashing » était déjà sur la table du législateur. Une disposition en ce sens est prévue dans la loi Climat de juillet 2021… mais elle ne s’applique toujours pas, faute de décret détaillant ses modalités exactes. Mais le travail en ce sens va bon train. La consultation publique du projet de décret « relatif à la compensation carbone et aux allégations de neutralité carbone dans la publicité » s’est achevée le 10 février 2022, et on a désormais la version qui, avec une certitude quasi-certaine, devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2023. Le 8 mars 2022, le cabinet français Carbon 4, spécialisé sur la stratégie bas-carbone et l’adaptation au changement climatique, publiait son analyse de ce projet de décret, expliquant en quoi il n’apporte pas de véritable solution, voire institutionnalise le greenwashing.
Le projet de décret impose aux entreprises qui souhaitent affirmer que leurs produits ou services sont « neutres en carbone » de mettre sur leur site Internet « un rapport de synthèse décrivant l’empreinte carbone du produit ou service dont il est fait la publicité et la démarche grâce à laquelle ces émissions de gaz à effet sont prioritairement évitées, puis réduites, et enfin compensées ». Ce dernier mot est important : pour affirmer qu’un produit ou service est « neutre en carbone », une entreprise pourra se contenter de compenser ses émissions de CO2. Pour Carbone 4, cela ouvre la porte à « l’existence d’incongruités telles que du gaz neutre, des exploitations de sables bitumineux neutres ou encore des barils de pétrole neutre ».
Un produit ou service « neutre en carbone », un non-sens selon l’ADEME
D’après le projet de décret, l’entreprise sera obligée de « préciser le ou les pays ou zones géographiques dans lesquels ont lieu les émissions, et les émissions dues au transport international, dans la mesure où ces données sont disponibles ». Il sera donc possible de ne pas publier ces chiffres en expliquant qu’ils ne sont pas disponibles. Autre obligation : publier « une annexe établissant la trajectoire visée de réduction des émissions de gaz à effet de serre associées au produit ou au service dont il est fait la publicité, avec des objectifs de progrès annuels quantifiés, couvrant au moins les dix années suivant la publication du rapport ». Or, comment est-il possible de réduire les émissions de gaz à effet de serre associées à un produit qui a déjà été fabriqué (avec une certaine quantité de CO2 déjà émise) et conçu d’une certaine manière (ce qui fait que les émissions de CO2 liées à son utilisation ne pourront bien évidemment pas être réduites) ? En plus, « il est choquant de voir que la formulation n’exige aucun niveau d’ambition pour cette trajectoire de réduction, » déplore Carbone 4.
Plus important encore, labelliser un produit ou service comme étant « neutre en carbone » n’a pas de sens, comme l’expliquait en février 2022 l’Agence de la transition énergétique (ADEME) dans un avis sur ce projet de décret. D’après la définition de la neutralité carbone donnée par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans son rapport « Climate Change 2021 : The Physical Science Basis », il s’agit d’une situation où les émissions de CO2 liées à l’activité humaine sont compensées par leur effacement grâce à une autre activité humaine. « L’objectif de neutralité carbone, défini comme l’équilibre arithmétique entre les émissions et séquestrations anthropiques de gaz à effet de serre, n’a réellement de sens qu’à l’échelle de la planète. Cette définition de neutralité carbone ne doit pas s’appliquer à une autre échelle : territoire infranational, organisation (entreprises, associations, collectivités), produit ou service etc. », faisait valoir l’ADEME.
Illustration bannière : Décret neutralité carbone : du greenwashing institutionnalisé ? © simona pilolla 2
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