Il y a quelques jours, le 18 mars, une piétonne de 49 ans « traversant en dehors des clous » a été fauchée par une voiture autonome de la société Uber dans le sud-ouest des Etats-Unis, entraînant l’arrêt de ses essais. Mais, on s’en doute, cette suspension sera momentanée. L’enjeu pour Uber, de déployer aussi vite que possible des services de transport de passagers sans chauffeur – son coût principal – est en effet vital. Se donne-t-on pour autant les moyens, au niveau de la société tout entière, de se préparer à la révolution dans les modes de vie et dans nos économies qu’impliquent ces véhicules ? Non.
On n’arrêtera pas les véhicules sans chauffeurs
La conduite autonome est aujourd’hui vue comme l’avenir des transports par les nombreux industriels qui s’y engouffrent : constructeurs automobiles, comme en témoigne la récente grand-messe de Genève où étaient présentés des modèles de taxis autonomes et autres véhicules sans chauffeurs, mais également sociétés informatiques, équipementiers, firmes de VTC et autres fournisseurs de services associés à cette nouvelle économie.
Peu de temps après l’accident d’Uber, la société Waymo, filiale de Google spécialisée dans le développement de ce type de véhicule, profitait d’ailleurs de l’occasion pour affirmer que sa technologie aurait permis d’éviter un tel incident. Pas de remise en cause chez la concurrence donc. Et, dans les médias, on s’interroge surtout sur les dilemmes éthiques qu’il faudra résoudre pour écrire les algorithmes qui décideront dans une situation de danger s’il faut privilégier « le passager prix Nobel de physique ou l’enfant de quatre ans sur la chaussée »…
Bref, tout le monde s’y attend, les véhicules seront bientôt autonomes. Mais, sérieusement, qui discute des bouleversements que va engendrer cette révolution que nous verrons se déployer dès le milieu de la prochaine décennie ?
Les véhicules autonomes : le meilleur ou le pire, à nous de choisir
Les quelques études prospectives disponibles actuellement montrent des impacts potentiels radicalement différents. L’avenir avec les voitures autonomes, ce pourrait être le meilleur comme le pire.
Les véhicules autonomes peuvent promettre un avenir meilleur, grâce à : |
Mais ils pourraient aussi être une belle opportunité manquée : |
– Des véhicules électriques non émetteurs qui remplacent les véhicules polluants
– Réduction des émissions de gaz à effet de serre et des polluants – Une flotte de véhicules optimisée, donc moins de congestion – De nouvelles opportunités pour un transport public efficace – La maintenance prédictive des véhicules gagne du temps et améliore les performances des véhicules – Moins d’accidents, plus d’espace libre, moins d’infrastructures, des coûts réduits : une meilleure qualité de vie ! – De nouvelles sources de revenus pour les industries européennes de l’automobile, des logiciels, de la haute technologie et des services et un coup de pouce à un certain nombre d’industries européennes |
– Les véhicules pourraient entraîner plus d’embouteillages, s’ajoutant aux options de trafic existantes plutôt que les remplaçant
– Les voitures autonomes ne seront mais pas forcément électriques mais pourraient être des véhicules thermiques polluants – Des modèles d’affaires contradictoires au sein de l’industrie européenne pourraient laisser le champ libre aux industriels chinois et américains – Les VA pourraient menacer le modèle urbain européen dense et efficace en facilitant les services en ligne qui rivalisent avec les achats dans les centres-villes – La confidentialité et le piratage possible des données pourraient inquiéter |
Selon une étude récemment menée par le National Renewable Energy Laboratory aux Etats-Unis, les véhicules autonomes pourraient ainsi réduire la consommation d’énergie de 90 % ou la faire augmenter de 200 % !(1)
Selon une autre étude récente, les véhicules autonomes pourraient réduire la congestion urbaine et les émissions polluantes de plus de la moitié d’ici 2050.(2) Mais, comme l’étude précédente, en soulignant que les bénéfices ne seront permis que si des choix de sociétés clairs sont effectués en faveur du partage des véhicules, des voies dédiées au transport collectif autonome, et contre les véhicules thermiques.
Comme le conclue Dan Sperling, directeur de l’Institute of Transport Studies à l’Université de Californie pour un livre à paraître : « Laissé au marché et au choix individuel, le résultat probable est plus de véhicules, plus de congestion et une transition lente vers les voitures électriques ».
La nécessité d’un débat sociétal intelligent
Aujourd’hui, nos institutions et nous tous en tant que société avons bien du mal à anticiper l’avenir. Un débat avec quelque 300 citoyens a été organisé dans plusieurs villes de France récemment pour aborder ces questions. C’est une initiative louable qu’il faut organiser au niveau de toute l’Europe et que les autorités publiques doivent commander elles-mêmes, en associant citoyens, industriels et experts. Il en ressort notamment que, selon 61 % des participants, l’État doit garantir un cadre politique pour que cela profite à tous de manière équitable.
Il suffit donc de se pencher quelques heures sur le sujet pour se rendre à l’évidence que nous avons ici une occasion unique de nous préparer à faire les choix qui permettront de ne pas subir des décisions issues de business modèles définis par des acteurs industriels essayant par la suite de les imposer aux autorités de leurs pays pour préserver leurs rentes de situation. Ces modèles sont encore, pour quelques temps, émergents. Profitons-en.
Il ne faut pas oublier de préciser que personne n’aurait pu empêcher cet accident, la victime sortant d’un coin sombre au dernier moment… même la police l’a reconnu.