La préservation de la Création semblerait un sujet crucial pour les grandes religions monothéistes. Pourtant, à l’aube des négociations internationales pour un accord global contre le changement climatique fin 2015 à Paris, les déclarations et actes récents des églises catholique et anglicane ne sont pas tous cohérents ni suffisants.
Finance éthique : l’église anglicane veille à… son portefeuille ?
L’Église a déjà un superviseur de ses participations : l’EIAG
L’Église d’Angleterre dispose actuellement d’un fonds d’investissement, qui gère 7,8 milliards d’euros d’actifs. Ceux-ci sont actuellement principalement investis dans les actions (40 %), dans l’immobilier résidentiel et commercial (36 %), et dans des entreprises (13 %) ; le reste est dans d’« autres » activités diverses.
Ce fonds d’investissement diffère cependant de la plupart des autres organismes financiers. En effet, l’Église d’Angleterre, d’ordinaire pas insensible aux grands sujets de notre époque, a également mis sur place un Comité de Conseil aux Investissements Éthiques (en anglais le « Ethical Investment Advisory Group », ou EIAG). Cette prévenance éthique n’est pas ailleurs pas incompatible avec l’efficacité. Le fonds d’investissement de l’Église d’Angleterre a pour objectif de générer 5 % de revenus, en sus de l’inflation. Et l’objectif était en 2013 largement atteint : la rentabilité était de presque 16 %, pour un taux d’inflation de 2 %.[i]
Le 10 décembre dernier, l’Église Anglicane a menacé les entreprises pétrolières BP et Shell de se retirer de leur capital. Des mots, pas des actes. L’EIAG considère en effet qu’avoir des participations dans ces entreprises est la meilleure façon de les faire s’améliorer. Une excuse que beaucoup considèrent comme trop facile.
L’activiste américain et pro-lutte contre le changement climatique Bill Mc Kibben (voir son site) réagit par exemple comme suit :
« C’est le pire argument possible (…) Nous changerons quand ça ne sera plus nécessaire »
Le désinvestissement – une technique qui a fait ses preuves par le passé
Le désinvestissement, auquel les anglicans ont menacé d’avoir recours, a déjà été utilisé par d’autres dans les passé… Mais avec une efficacité limitée.
A quoi bon manifester contre un régime situé à l’autre bout du monde ? C’est la question que se sont posée dans les années 1960 les étudiants américains qui militaient contre l’apartheid. Au vu du désintérêt du gouvernement sud-africain, les étudiants ont plutôt choisi de réclamer que leurs universités vendent les actions et obligations qu’elles possédaient dans les entreprises sud-africaines. (Aux USA, les établissements académiques gèrent des sommes biens supérieures à celles de leurs homologues français). Si les désinvestissements n’ont pas eu d’effet notable sur l’économie du riche pays africain, ils ont attiré énormément d’attention sur le problème de l’apartheid.
Malgré cette efficacité relative, le désinvestissement a récemment été recommandé par l’archevêque Desmond Tutu à l’encontre des pollueurs.
- Lire aussi : comment les grandes campagnes environnementales ont marqué 2014 (on y retrouve notamment l’activiste Bill Mc Kibben et l’entreprise Shell).
- Voir aussi, en temps réel : la collecte d’épargne solidaire en France, sur le Planètoscope
- Lire aussi, plus loin sur consoGlobe : l‘intérêt des Français pour l’investissement socialement responsable ne faiblit pas
Un engagement éthique qui ne s’étend pas encore au climat
L’Église anglicane suit déjà des règles d’investissement strictes
Si les anglicans semblent hésitants en ce qui concerne le changement climatique, l’EIAG a déjà pris « la décision finale » de désinvestissement par le passé. En 2010, l’entreprise minière Vendata, dans laquelle l’Église d’Angleterre avait des participations, s’était retrouvée sous le feu des projecteurs à cause d’un projet controversé de nouvelle mine en Inde. Celle-ci menaçait l’écosystème local, ainsi que la survie d’une tribu indienne. L’Église d’Angleterre avait alors revendu sa participation de 3,8 million de livres dans Vendata. Le projet minier avait d’ailleurs par la suite été annulé par la Cour Suprême indienne. En 2012, l’Église anglicane avait également revendu ses parts dans l’entreprise « News International » suite à une affaire d’espionnage téléphonique.
L’Église anglicane s’interdit aujourd’hui d’investir dans les entreprises qui retirent une part trop importante de leur chiffre d’affaire de la défense, du tabac, du jeu, de l’usure, de la pornographie ou encore du clonage humain – mais aucune règle n’existe en ce qui concerne les activités émettrices de gaz à effet de serre et nuisibles au climat.
Réalisme… ou déni ?
Un désinvestissement des entreprises les plus nocives pour le climat est toutefois d’autant moins à l’ordre du jour que l’EIAG se veut « réaliste » :
« Les émissions de gaz à effet de serre sont tellement ancrées dans notre système économique que les recommandations de l’EIAG devront nécessairement être très sophistiquées »
Cette phrase est issue d’un communiqué officiel rédigé par le révérend Burridge, qui est le directeur adjoint de l’EIAG. Par conséquent,la politique officielle des fonds d’investissement de l’Église anglicane en matière de changement climatique ne sera pas mise à jour par l’EIAG avant fin 2015. La nouvelle est néanmoins accueillie avec espoir par les activistes :
Church of England votes to consider divestment : remarkable campaigning starting to pay off ! http://t.co/7kZUWREbkg
— Bill McKibben (@billmckibben) 13 Février 2014
« L’Eglise d’Angleterre envisage un désinvestissement : une superbe campagne commence à porter ses fruits ! »
La base a déjà pris ses responsabilités environnementales
Mais si les instances financières de l’Église anglicane avancent à reculons, certains de ses membres ont déjà affiché leur engagement pour la cause sur le terrain. Le projet « Réduire notre empreinte » aide par exemple les 16 000 églises et cathédrales anglicanes à améliorer leur empreinte carbone. L’objectif est d’avoir réduit les émissions de carbones de 42 % en 2020 et de 80 % en 2050, par rapport à 2005. Et les chefs de files anglicans n’hésitent pas à s’exprimer clairement sur le sujet :
Hope for the Future : fighting the giant of climate change http://t.co/DyKGt3EUhn — Steven Croft (@Steven_Croft) 8 Mars 2014
« De l’espoir pour l’avenir : combattre le géant du changement climatique »
Une affaire à suivre dans les prochains mois donc, en amont des négociations climat à Paris fin 2015…
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[i]Source : rapport 2013 du fonds d’investissement de l’Église anglicane.