consoglobe.com – En octobre 2017, des activistes de Greenpeace se sont introduits dans la centrale de Cattenom (Moselle) et en novembre, dans celle de Cruas-Meysse (Ardèche), pour alerter sur le risque nucléaire en France. Quelles sont les conséquences ? Qu’attend Greenpeace sur ce sujet de la sûreté et de la sécurité nucléaire ?
Jean-François Julliard : l’idée était d’exposer les énormes failles de sécurité et démontrer, en particulier, la vulnérabilité des piscines d’entreposage de combustible usé. Comme on le voit, elles ne sont pas suffisamment solides pour résister à des attaques externes. EDF n’a pas souhaité se saisir de cette question du risque, préférant affirmer qu’il n’y avait pas de problème.
Sa seule réponse a été de porter plainte contre les activistes et l’organisation. Le tribunal correctionnel de Privas vient de renvoyer au 17 mai le procès de Cruas. Le procès de Cattenom aura lieu le 27 février prochain, au tribunal de grande instance de Thionville.
Parallèlement, la réponse politique est plus intéressante : la création d’une commission d’enquête a été votée au parlement sur « la sûreté et la sécurité des installations nucléaires ». C’est la première fois qu’une commission d’enquête parlementaire se saisit de cette question. Elle va auditionner de nombreux acteurs, y compris d’EDF, probablement pour arriver aux mêmes conclusions que nous. Cette commission apporte une reconnaissance à nos actions, certes illégales mais légitimes au sens de la défense de l’intérêt général. Notre droit à lancer l’alerte a été jugé légitime par les parlementaires.
consoglobe.com – Que risquez-vous légalement ?
Jean-François Julliard : sur le papier, une peine qui va jusqu’à 5 ans de prison et des amendes. La loi de Ganay avait renforcé la répression pénale sanctionnant l’intrusion dans les installations nucléaires [NDLR : Le député Claude de Ganay a été l’un des rares élus à s’opposer ouvertement à la création de la commission d’enquête]. C’est encore trop tôt pour se prononcer.
Nous allons nous défendre en rappelant pourquoi nous en arrivons là. Ce n’est pas pour nous amuser. Une immense partie du territoire français est exposée au risque nucléaire car la plupart d’entre nous vit à proximité d’une centrale.
consoglobe.com – Fessenheim est la centrale la plus vieille de France, elle vient de fêter ses 40 ans et d’atteindre sa date limite d’exploitation. Elle ne produit quasiment plus d’électricité. Les écologistes français, allemands et suisses dénoncent sa vétusté depuis de nombreuses années. Où en est sa fermeture ?
Jean-François Julliard : la loi relative à la Transition énergétique a fixé la production d’électricité issue du nucléaire à 63,2 GW, qui est la capacité actuelle du parc français. EDF n’a donc plus le droit d’ouvrir d’autre centrale, à moins d’en fermer une. Fessenheim est censée fermer fin 2018 ou courant 2019, au moment de l’ouverture de l’EPR de Flamanville [NDLR : Réacteur Pressurisé Européen].
Sébastien Lecornu, le secrétaire d’État auprès de Nicolas Hulot, s’est rendu à Fessenheim en début d’année pour discuter de la question de l’emploi avec les syndicats, les dirigeants de la centrale, les élus locaux, les acteurs économiques. Cette fermeture était déjà une promesse de campagne de François Hollande.
consoglobe.com – En plus de la problématique de l’emploi, les défenseurs du nucléaire ont un argument : comme l’énergie fissile n’émet pas de gaz à effet de serre, elle serait « bonne » pour le climat. Quelle est votre réponse ?
Jean-François Julliard : cet argument me sidère ! Il est 100 % français, je ne l’ai jamais entendu ailleurs. Il n’y a qu’en France qu’on est aussi dépendant du nucléaire [NDLR : le nucléaire représente 11,7% de la production mondiale d’électricité, en 2011. En France, il représente 77% en 2014]. Nous n’avons pas à choisir entre la lutte anti-nucléaire et la lutte contre le dérèglement climatique. Le nucléaire ne peut pas être une solution.
Aujourd’hui, si on se disait qu’on allait remplacer les centrales à charbon – très émettrices de CO2, par des centrales nucléaires, il faudrait construire des centaines de réacteurs chaque année. On sait que c’est impossible. C’est trop tard et c’est trop cher. Cela nécessiterait des projets de 15 à 20 ans pour des financements en milliards.
L’industrie nucléaire à l’échelle de la planète va extrêmement mal. Fukushima est passé par là. Il y a donc de moins en moins d’acteurs estimant que le nucléaire a un avenir. La production de nucléaire est stable, voire même en léger déclin à l’échelle mondiale. Parallèlement, la part de renouvelable ne cesse d’augmenter, avec près de 25 % de la production d’électricité aujourd’hui.
consoglobe.com – Quid des déchets nucléaires ?
Jean-François Julliard : pour le moment, des dizaines de milliers de tonnes de déchets nucléaires sont présents un peu partout sur le territoire national. Les plus radioactifs à vie longue – centaines de milliers d’années – sont entreposés dans l’usine de retraitement de la Hague. Le projet Cigéo d’enfouissement des déchets nucléaires, à Bure, ne nous paraît évidemment pas fiable.
L’idée est de générer de moins en moins de déchets et d’éviter de les bouger au maximum. Il n’y a aucune solution idéale de toutes façons. Celle que nous considérons comme la moins dangereuse est le stockage en subsurface sur les lieux de production.
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