Incident nucléaire en Russie : le mystère reste entier

Quatre mois après la détection dans l’air de 14 pays européens d’un niveau anormalement élevé de ruthénium 106, une matière radioactive d’origine artificielle, le mystère reste entier, aucune des explications évoquées n’étant suffisamment fiable pour pouvoir être scientifiquement admise.

Rédigé par Anton Kunin, le 27 Jan 2018, à 7 h 50 min
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Les experts s’accordent sur le fait que l’origine de ces émanations se situe dans la région russe de Tcheliabinsk, mais les autorités de ce pays se montrent réticentes à coopérer, faisant valoir que les niveaux de ruthénium 106 enregistrés sont bien en deçà des seuils maximum autorisés.

Selon les responsables nucléaires russes, la source de ruthénium ne serait pas à Maïak

La fin du mois de septembre 2017 a été marquée par une nouvelle préoccupante : 14 pays européens ont détecté quasi-simultanément la présence dans l’air ambiant d’un élément radioactif, le ruthénium 106.

Selon les experts de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), qui se sont appuyés sur les données météorologiques, le mouvement de masses d’air fin septembre 2017 montre que le ruthénium 106 est arrivé en Europe depuis l’Oural, en Russie, et plus exactement de la région de Tcheliabinsk. Dans cette région se trouve en effet l’usine Maïak, où la Russie conditionne ses déchets nucléaires avant de les enterrer.

Panneau d’avertissement près du complexe Maïak : « Interdiction de passer (à pied ou en voiture) » © Kiselev Alexey

Montrée du doigt, la Russie ne cesse depuis de réfuter les accusations. Selon Viacheslav Usoltsev, en charge de la sûreté nucléaire et de l’environnement auprès de l’inspecteur général de Rosatom, l’établissement public russe gérant toutes les installations nucléaires du pays, Maïak ne saurait être à l’origine des émissions de ruthénium 106. Lors d’une conférence de presse le 11 novembre 2017, il a affirmé que dans l’hypothèse où les filtres de l’usine auraient un défaut de fonctionnement, la présence de ruthénium 106 dans les tuyaux au-delà des filtres auraient été immédiatement détectée par les dizaines de capteurs qui sont installés à différents points stratégiques.

Lire aussi : Probable accident nucléaire russe : 14 pays européens sous un nuage radioactif

Des émissions de ruthénimum oui, mais trop faibles ?

À la mi-décembre 2017, alors que les interrogations se multipliaient, Yuri Mokrov, conseiller scientifique et environnemental du PDG de Maïak, a rencontré des journalistes locaux, une rencontre qui était également diffusée via un « live » Facebook.

Selon lui, l’existence quelque part dans la région d’une source de ruthénium 106 d’une puissance de 3.000 à 8.000 curies, comme le suggère l’IRSN, est une hypothèse irréaliste. Le ruthénium perdant assez rapidement sa radioactivité, accumuler un stock aussi important est impossible, de même qu’il est impossible d’en produire autant « en direct » en un laps de temps aussi court.

La production mondiale d’énergie nucléaire sur le Planetoscope

Une production hors du circuit contrôlé n’est pas possible non plus, cette matière ne pouvant être obtenue qu’à l’aide d’un accélérateur puissant ou d’un réacteur nucléaire. Quant à l’hypothèse d’une dissémination accidentelle de ruthénium 106 produit dans des buts médicaux, elle n’est pas réaliste non plus, selon lui, le volume de cette production ne dépassant pas 0,1 curie par an en Russie.

Yuri Mokrov a toutefois admis, à demi-mot, la réalité de l’émission de ruthénium 2016 dans l’atmosphère à Maïak. « Les émissions réelles sont des centaines de fois inférieures aux seuils maximum autorisés. Ces émissions sont à tel point faibles qu’elles ne sont détectables que dans le tuyau par lequel elles sortent. Les détecter dans l’air ambiant est irréaliste », a-t-il déclaré.

Une fuite aurait-elle eu lieu à Maïak ?

L’actualité plus ou moins récente de Maïak pourrait néanmoins donner un élément de réponse. À l’automne 2016, la mise en service d’un four où les déchets nucléaires liquides sont transformés en blocs solides a été retardée de plusieurs mois.

© Nordroden / Shutterstock

Sous couvert d’anonymat, plusieurs anciens employés de Maïak ont confié au journal Pravda Urfo que ce retard pourrait s’expliquer par des défauts de conception, un four de ce type exploité à Maïak par le passé ayant déjà dû être mis à l’arrêt pour cause de fuite.

Et pourtant, il y a urgence. Pendant que les responsables nucléaires et politiques russes se cachent dans le déni ou refusent d’enquêter, faute d’un niveau d’émissions réellement nocif pour la santé humaine selon eux, les témoignages s’effacent : chaque année, la radioactivité du ruthénium 106 diminue de moitié.

Illustration bannière : radioactivité – © vladm
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Journaliste de formation, Anton écrit des articles sur le changement climatique, la pollution, les énergies, les transports, ainsi que sur les animaux et la...

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