L’intelligence des plantes en action
Des larves de chenille (Monduca sexta) éclosent sur les feuilles d’un plant de tabac sauvage (Nicotiana attenuate) dans le désert de l’Utah et commencent à les manger. Aussitôt, la plante fait pousser des trichomes, petits poils fins chargés de sucs dont raffolent les petites chenilles. Mmm… Sauf que, quand elles mangent cette substance, les chenilles émettent une odeur particulière, comme vous et moi, quand nous mangeons beaucoup d’ail, par exemple, qui attire des punaises et des fourmis qui, elles, aiment bien manger…des chenilles ! Et voilà : la plante est débarrassée de ses agresseurs.
Sauf que… d’autres chenilles, plus âgées et donc indifférentes aux sucs gobés par les jeunes, agressent la plante à leur tour. Alors, celle-ci change de tactique et dégage des substances volatiles, appelées HIPV par les spécialistes, pour herbivore-induced plant volatiles : substances volatiles induites par la présence d’herbivores, qui à leur tour attirent une espèce de punaise bien connue des jardiniers bio pour ses capacités de prédateur, le Géocoris. Problème résolu : la punaise mange les chenilles…
Mais du coup le problème se complique pour notre plant de tabac rusé. Ces chenilles qui la mangeaient, c’étaient de futurs papillons Sphynx, papillons utiles au tabac sauvage, car ce sont des pollinisateurs. Sans pollinisateurs, pas d’autres Nicotiana attenuate.
Une forme d’intelligence que nous commençons seulement à comprendre
Que fait-il alors ? Il change de stratégie une fois encore. Selon Ian Baldwin, professeur à l’Institut Max Planck à Leipzig, la plante se métamorphose en quelques jours : ses fleurs se mettent à pousser le jour plutôt que la nuit, son parfum se modifie, son aspect change. Résultat : elle n’attire plus les papillons Sphynx, dont les petits la dévoraient.(1)
Elle attire des pollinisateurs diurnes, comme les colibris. Et le tour est joué : plus de chenilles qui la mangent, mais la pollinisation est assurée.(2)
Ian Baldwin, dans ‘Belles plantes, pas potiches’ :
Cette étonnante capacité de la plante à évaluer une situation problématique pour sa survie et à trouver une solution pour y parer, fait penser à de plus en plus de chercheurs que les plantes, à l’instar des animaux, possèdent une (forme d’) intelligence, que nous commençons à peine à comprendre.
Les plantes se parlent entre elles par la feuille et par la racine
Donc, les plantes communiquent, par leurs feuilles, avec des insectes, prédateurs ou mercenaires. Elles envoient des substances volatiles dans l’atmosphère pour les attirer ou au contraire les repousser. Elles peuvent aussi secréter des toxines pour les empoisonner.
Mais elles communiquent aussi entre elles. Quand vous coupez l’herbe, vous aimez surement cette bonne odeur d’herbe fauchée, n’est-ce pas ? Sachez qu’en fait, votre herbe est en train d’envoyer un message aux voisines pour les prévenir de votre attaque pour qu’elles puissent se protéger. Une plante stressée envoie aussitôt à ses congénères un message par voie aérienne.
On a observé que les plantes savent identifier les plantes aux alentours et modifier leur comportement alimentaire en fonction du voisinage. Ainsi, un plant de tomate, par exemple, placé à côté d’autres plants de même famille, développera un réseau racinaire moins important que s’il est placé à côté de plants d’une autre espèce.
Dans le second cas, la tomate se sentira en concurrence et essaiera d’occuper le maximum d’espace possible pour tirer profit des nutriments du sol. Les plantes ont donc un « esprit de famille » et coopèrent entre elles pour minimiser l’effort et le stress.
James Cahill, chercheur à l’Université d’Alberta au Canada, a longuement étudié le comportement des racines des plantes. D’après ses investigations, les racines d’une plante se déplacent comme un animal qui chasse : plus rapidement quand elle cherche sa nourriture, lentement, voire pas du tout quand elle l’a trouvée.
Quand on place une cuscute, plante invasive et parasite, à côté d’autres plantes, elle envoie ses racines vers les leurs et libère une substance chimique, la catéchine, qui tue leurs racines et lui permet de coloniser tout le secteur. Heureusement, ce comportement agressif est assez rare dans le domaine végétal, où les plantes arrivent généralement à trouver un équilibre avec leurs voisines.
Les arbres-mères
Tous ceux qui ont vu le film Avatar se souviennent de ces merveilleux « arbres-mères » qui protégeaient tous les organismes vivants grâce à leur réseau magique. Quand l’écologue canadien Suzanne Simard a vu le film, elle s’est dit : « Mais, ils ont lu mes articles ! ». Car cette chercheuse de l’Université de Colombie-Britannique étudie depuis longtemps le rôle protecteur des vieux pins Douglas.
La chercheuse et ses étudiants ont enveloppé des branches de pins dans des sacs plastiques, où ils ont injecté du CO2 faiblement radioactif, forçant les feuilles à synthétiser des sucres que l’on peut suivre à la trace. À l’aide de compteurs Geiger, ils ont pu tracer le déplacement d’une partie de ce sucre à de nombreux arbres alentour. Et le transfert le plus important s’opérait entre les vieux arbres les plus volumineux et les jeunes poussant à leur pied, le plus souvent issus de leurs graines.
Ce qui prouve la remarquable solidarité existant entre les générations de pins. Cette nourriture est également transportée par les mycorhizes, des champignons du sous-sol qui relient les racines des arbres. Suzanne Simard a ainsi pu cartographier les connexions d’une parcelle, et révéler le réseau caché des sols forestiers, cet espace souterrain où, à travers un incroyable embrouillamini de racines entremêlées, les vieux arbres jouent le rôle de plaques tournantes, interconnectant tous les individus et distribuant les flux nutritifs, en particulier vers les plus jeunes.(3)
Article republié
Illustration bannière : la célèbre dionée attrape-mouche (Dionaea muscipula) © Natalia Ramirez Roman
- Plant Volatiles, Rather than Light, Determine the Nocturnal Behavior of a Caterpillar », Kaori Shiojiri, Rika Ozawa, Kamitanakami, Otsu, Junji Takabayashi, PLOS Biology, 2006. http://journals.plos.org/plosbiology/article?id=10.1371/journal.pbio.0040164
- ‘Rapid Changes in Tree Leaf Chemistry Induced by Damage : Evidence for Communication Between Plants’, Ian T. Baldwin, Jack C. Schultz, Science 15 Jul 1983.
- ‘Est-ce là plante la plus intelligente du monde ?’, Julie Aram, 15 janvier 2015, Le Journal de la Science, http://www.journaldelascience.fr/environnement/articles/est-ce-plante-plus-intelligente-monde-44425
Pendant longtemps, la botanique s’est contentée d’étudier l’anatomie des plantes puis leur classification. Au XXe s., la botanique s’est intéressée à l’étude des cellules (cytologie) puis à un début de sociologie végétale. Mais maintenant, la botanique prend le virage de l’éthologie, voire de la psychologie. C’est très bien. Une immense continent de découvertes à venir se présente devant nous. Et la complexité de ce qui va s’offrir à nos yeux nous montrera que la nature est d’une telle complexité, que les rêves actuels des roboticiens transhumanistes et des agriculteurs hyperproductiviste guidés par satellite nous apparaîtrons très bientôt comme de simple délires d’enfants dépressifs.