L’association Kokopelli qui regroupe une équipe de militants en faveur des Semences de Vie, connait des déboires judiciaires. Nous avons rencontré une personne qui connait bien l’activité et les valeurs portées par l’association : Blanche Magarinos-Rey, avocate au barreau de Paris spécialisée dans le droit de l’environnement, et auteure du livre Semences hors-la-loi : La biodiversité confisquée.
consoGlobe.com : en 2008, Kokopelli s’est retrouvée face à la justice pour vente de semences non-inscrites au catalogue officiel. Pourquoi avoir pris ce risque ?
Blanche Magarinos-Rey – C’est l’État qui a poursuivi Kokopelli devant la justice pénale. L’association n’a pris aucun risque particulier, sauf celui d’accomplir sa mission et son travail, par la distribution de semences reproductibles. L’existence même de l’association est irrégulière, car les semences de l’association n’ont pas droit de cité dans notre pays.
consoGlobe.com : qu’ont-elles de si différent ces semences pour ne pas être inscrites au catalogue officiel ?
Blanche Magarinos-Rey – Les conditions d’inscription au Catalogue Officiel (Distinction, Homogénéité, Stabilité) rendent impossible l’inscription des semences anciennes de Kokopelli.
Les caractéristiques même des variétés vendues par l’association, librement reproductibles, mais également non homogènes – puisque les fruits, sur un même plant, ne sont pas exactement identiques les uns aux autres et chaque plan a un patrimoine génétique différent – et capables d’adaptation et d’évolution en fonction des terroirs où elles seront plantées.
Au surplus, les tarifs d’inscription au Catalogue sont prohibitifs (500 euros en moyenne pour chaque variété, sans compter les droits annuels à payer pour les différents types d’examens obligatoires).
En définitive, ce catalogue, initialement facultatif et ouvert à toutes les semences, est devenu, par une dérive administrative totalitaire, le pré carré exclusif des variétés « technologiques », non reproductibles et fortement consommatrices d’intrants chimiques, issues de la recherche agronomique et protégées par des droits de propriété intellectuelle (Certificat d’Obtention Végétale).
Cette dérive administrative a satisfait les ambitions monopolistiques d’un secteur professionnel sur le marché tout entier, ainsi qu’une certaine volonté politique d’industrialisation et de mécanisation de la production agricole.
Les variétés anciennes, de nos ancêtres, sont ainsi progressivement devenues interdites. Si la France a créé un catalogue consacré aux “variétés amateurs”, celui-ci ne règle nullement le problème car les conditions posées à son inscription sont les mêmes que pour le catalogue général et les tarifs d’inscription en sont restés rédhibitoires (250,49 euros pour chaque variété). Il est de plus, fort inopportunément destiné aux seuls jardiniers non professionnels.
consoGlobe.com : selon vous, la lutte pour la sauvegarde de la biodiversité entraîne-t-elle systématiquement des déboires avec la justice ? Si oui, pour quelle(s) raisons(s) ?
Blanche Magarinos-Rey – La lutte pour la sauvegarde de la biodiversité relève de l’intérêt général, qui devrait être porté par nos institutions.
Cependant, les lobbies privés ont acquis dans nos sociétés occidentales une telle puissance financière, qu’ils se sont introduits aux commandes de nos institutions, de sorte que ce sont eux, qui, aujourd’hui, écrivent largement nos lois et nos règlements, et dictent nos politiques en matière d’environnement et de santé, entre autres.
Dans ce contexte, toute initiative, même d’intérêt général, qui viendrait contrecarrer les stratégies de développement commercial de ces lobbies serait stigmatisée par la loi. La justice, face à cela, est assez désarmée, car, bien qu’étrangère à ces logiques purement financières, doit appliquer la loi. Elle devient dès lors un outil de répression de plus au service des intérêts industriels privés.