Le Grand Paris Express, laboratoire du BTP français

Chantier du siècle en Europe, le Grand Paris Express sera achevé en 2030. D’ici là, la réussite des chantiers tient au partenariat étroit entre pouvoirs publics, entreprises privées du BTP et représentants des collectivités locales. Entre vision politique et travaux hors normes, le GPE constitue une expérience unique pour tous les acteurs impliqués.

Rédigé par Martin Lucas, le 13 Jul 2022, à 14 h 10 min
Le Grand Paris Express, laboratoire du BTP français
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Le futur métro francilien ne sera pas qu’un simple métro. Le Grand Paris Express (GPE) transformera profondément le paysage des sept départements entourant la capitale. Les chiffres avancés par la Société du Grand Paris (SGP) éclairent sur l’échelle du projet : 68 nouvelles gares, 200km de tunnels, 45 millions de tonnes de déchets et 600000m2 de projets immobiliers connexes. Le GPE sera bien plus qu’un réseau supplémentaire de transports en commun. Il impactera durablement le paysage du principal poumon de l’économie française.

Le BTP valide l’ère de la conception-réalisation

Les quinze années de travaux (2015-2030) s’organisent autour de trois pôles principaux : le donneur d’ordre (l’entreprise publique Société du Grand Paris), les entreprises du BTP françaises et européennes (1) parmi lesquelles les majors Bouygues, Demathieu Bard, Eiffage, Guintoli, Spie-Batignolles, Razel-Bec Salini Impregilo et Vinci – et les acteurs des collectivités locales. La coopération entre ces trois pôles constitue l’exemple le plus complet des partenariats public-privé (PPP) actuels.

Tout est donc parti de la SGP qui travaille sur le projet depuis son lancement en 2010. Les appels d’offre initiaux ont abouti aux premiers coups de pioche en 2015 : les bureaux d’études commissionnés par la SGP laissant alors la place aux grands noms du BTP pour la construction des quatre nouvelles lignes, découpées en différents lots, et pour le prolongement de deux lignes existantes. Projet collectif et indispensable pour effacer les déséquilibres territoriaux en Ile-de-France (2), « le Grand Paris Express est un projet cohérent » selon le président du directoire de la SGP, Jean-François Monteils. « Mon coeur de métier, c’est la délibération, c’est la construction de décisions collectives par le partage des analyses et, ensuite, par la prise de décisions ; c’est comme cela que je fonctionne », poursuit Monteils. Pour la SGP, la réussite passe autant par le respect du cahier des charges par les entreprises commissionnées que par le dialogue avec le terrain.

Nouveauté pour les années à venir, les derniers lots restant à attribuer se feront selon le principe de conception-réalisation (3) afin de réduire coûts et délais. Les entreprises de BTP se chargeront donc des études de conception et assureront les chantiers pensés en interne, ce qui leur permettra de mettre en place efficacement la co-activité de chacune de leur division, comme c’est le cas chez Eiffage Génie Civil, l’un des leaders du BTP français. « Nous recherchons un juste milieu : conception centralisée, exécution décentralisée, explique Guillaume Sauvé, président d’Eiffage Génie Civil et d’Eiffage Métal. La conception donne le cadre, communiqué à toutes nos équipes, de toutes les spécialités, et tant qu’on est dans le cadre, c’est-à-dire dans les délais et dans le budget, le « terrain » prend toutes les initiatives utiles pour faire face aux aléas. […] Nous devons donc être force de proposition auprès de nos interlocuteurs du secteur public, pour inventer avec eux des modalités pertinentes de mise en oeuvre des contrats en conception-réalisation. » Aux opérateurs privés de trouver les solutions techniques.

Innovations techniques au service de l’environnement

Sur un chantier de l’ampleur du GPE, et face aux strictes directives de la SGP, « faire face aux aléas » impose surtout d’innover. À tous les niveaux : atténuation des nuisances comme le bruit ou les poussières, revalorisation des millions de tonnes de déchets excavés par les 22 tunneliers, analyse des sols, sécurité et plus généralement en termes environnementaux.

Le gros morceau, tout au long des quinze années du chantier, est et reste encore la gestion des déchets. Il a fallu inventer et mettre en place des solutions pour gérer au mieux 45 à 48 millions de tonnes de gravats souterrains. Trois défis se présentaient aux entreprises de BTP : l’identification des déchets, leur traçabilité et leur réemploi. D’autant que la SGP – suivant la loi sur la Transition énergétique – leur a imposé de revaloriser 70 % des déchets produits (4). À l’échelle du Grand Paris Express, ces 70 % sont colossaux. Les constructeurs ont donc dû inventer et utiliser de nouveaux procédés.

Premier défi donc, identifier les déchets. Pour cela, Eiffage et le Commissariat à l’énergie atomique ont mis au point l’outil de caractérisation des sols Carasol (5), capable d’identifier les roches en seulement quelques heures, au lieu de 5 à 7 jours. « Nous pouvons évacuer les déblais beaucoup plus rapidement, et donc réduire les installations de stockage des terres, se félicite Pascal Hamet, directeur de projet du lot nº1 de la ligne 16. Ce qui constitue un réel avantage en tissu urbain dense, où les emprises de chantier sont souvent assez exiguës ». Deuxième défi : assurer une bonne traçabilité des déchets. Là, la société Yprema a développé pour le GPE son système T-Rex, inspiré de son logiciel Lapillum (6). Yprema bénéficie par ailleurs d’une forte implantation en région parisienne (7) : « Sur nos sept sites franciliens, nous sommes capables de recevoir 600000 tonnes de déchets de BTP par an, dont 30000 à 60000 tonnes sur le site de Lagny, détaille Claude Prigent, président d’Yprema. Pour le Grand Paris Express, nous sommes très bien placés. » Enfin, troisième défi : le réemploi des gravats. L’entreprise de BTP Demathieu Bard a fait appel à la plateforme de la start-up Cycle Up (8), spécialisée dans la réutilisation de déchets de chantier. Le Grand Paris dans son ensemble profite d’ailleurs de la French Tech (9) : « Nous officialisons une pratique très ancienne qui se faisait jusqu’à maintenant à l’arrière du camion dans une démarche d’économie circulaire », promeut Sébastien Duprat, directeur général de Cycle Up.

Le grand Paris express

Impacts pour les Franciliens, dialogue avec les acteurs locaux

Malgré tous les efforts déployés par les entreprises du BTP, les chantiers du GPE impactent tout de même les riverains. Il a donc fallu mettre en place un dialogue étroit entre toutes les parties pour que tout se passe bien sur le terrain. Les futurs usagers sont en effet associés aux discussions, l’un des objectifs du GPE restant avant tout de désenclaver certains territoires d’Ile-de-France, et de le faire en respectant les normes environnementales et sociétales les plus rigoureuses (10). Selon Olivier Klein, président du conseil de surveillance de la SGP mais surtout maire de Clichy-sous-Bois, « deux marqueurs seront essentiels pour incarner notre réussite collective : la lutte contre les inégalités sociales et l’émergence d’une ville écologique et humaine dans les futurs quartiers de gare du Grand Paris Express ». Car pour les maires des villes périphériques – et souvent déshéritées – qui accueilleront bientôt les gares du GPE, les enjeux sociaux sont essentiels.

Au coeur du projet, la politique de RSE (responsabilité sociétale et environnementale) de la SGP (11) dicte le ‘la’ aux entreprises privées chargées de la réalisation des nouvelles lignes du métro francilien. « Nous sommes en train de consolider notre stratégie RSE, d’examiner si les enjeux identifiés sont bien ceux de nos partenaires et des parties prenantes, c’est-à-dire les élus, les collectivités, la population d’usagers riverains des chantiers et nos collaborateurs en interne, explique Margaux Chabardes, responsable de la démarche RSE au sein de la SGP. Cette feuille de route repose sur quatre grandes orientations : conduire le projet de manière humaine et éthique, concevoir et construire en préservant l’environnement, participer à la création de la ville de demain, accessible à tous, connectée, multimodale, et enfin travailler pour et avec les acteurs du territoire. » Il faut donc écouter le terrain et dialoguer, la SGP et les entreprises du BTP l’ont bien compris.

Pour cela, la SGP a mis en place une unité spéciale chargée de recueillir les doléances éventuelles des riverains et mettre en place des dispositifs d’accompagnement, et de compensations financières le cas échéant. Pour Bernard Cathelain, membre du directoire de la Société du Grand Paris, le GPE devra faciliter la vie quotidienne et les déplacements de millions de Franciliens : « Réalisé en étroite relation avec les entreprises, les maîtres d’oeuvre, dans un dialogue permanent avec les acteurs du territoire, les riverains des chantiers et les futurs usagers, le Grand Paris Express souhaite contribuer à façonner le développement d’une métropole plus sobre en carbone et plus soutenable pour les Franciliens. »

Du côté des entreprises, la démarche semble comprise et intégrée dans les pratiques, notamment dans le dialogue de proximité avec les élus. Pour Saint-Maur des Fossés par exemple, dont la construction de la gare la plus profonde du réseau est un défi majeur, Benoit Maureau, directeur opérationnel, témoigne (12) que son entreprise, Eiffage Génie Civil, a « eu une relation très étroite avec le maire Sylvain Berrios pour établir un protocole d’une vingtaine de points. Ce protocole a précisé un certain nombre de mesures que nous avons prises pour éviter, réduire, compenser les nuisances ». Des mesures qui ne s’arrêtent pas là, puisque la ville et l’entreprise se sont également engagées pour faire du chantier un tremplin vers l’emploi (13).

Pour les entreprises du BTP comme pour les pouvoirs publics, le Grand Paris Express restera dans les annales des grands chantiers français, à l’image du Canal du Midi au XVIIe siècle ou du métro parisien à la fin du XIXe siècle. Tant la dimension du GPE a poussé toutes les parties prenantes à se réinventer.

 

Sources :
(1) https://www.societedugrandparis.fr/gpe/acteurs/les-constructeurs-entreprises-de-travaux-135
(2) https://www.societedugrandparis.fr/gpe/actualite/jean-francois-monteils-nomme-president-du-directoire
(3) http://www.senat.fr/rap/r20-044/r20-04414.html
(4) https://www.ecologie.gouv.fr/dechets-du-batiment-et-des-travaux-publics
(5) https://www.lemoniteur.fr/article/grand-paris-express-le-chantier-du-lot-16-1-avance-sur-tous-les-fronts.2070049
(6) https://en.calameo.com/books/0060992580a2e5e55abff
(7) https://www.leparisien.fr/seine-et-marne-77/seine-et-marne-yprema-s-est-recycle-dans-les-gravats-du-grand-paris-express-11-10-2018-7916328.php
(8) https://www.lemoniteur.fr/article/demathieu-bard-et-cycle-up-embarquent-pour-l-economie-circulaire.2174142
(9) https://business.lesechos.fr/entrepreneurs/idees-de-business/0301500456790-grand-paris-des-start-up-et-un-accelerateur-en-renfort-319954.php
(10) https://94.citoyens.com/2020/olivier-klein-elu-president-de-la-societe-du-grand-paris,03-11-2020.html
(11) https://en.calameo.com/read/003238634bb0d82561703
(12) https://www.sensemaking.fr/Le-dialogue-pierre-angulaire-de-la-reussite-du-chantier-du-siecle_a438.html
(13) https://www.constructioncayola.com/infrastructures/article/2019/05/02/124239/eiffage-oeuvre-pour-emploi-saintmaur
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Après avoir travaillé dans la fonction publique territoriale, puis comme salarié dans le secteur privé, je suis à présent consultant freelance en...

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