Un projet de décret vise à simplifier les procédures d’autorisation environnementale, en privant le Conseil national de protection de la nature (CNPN) de sa capacité à protéger les espèces menacées… Un paradoxe inquiétant faisant primer l’aménagement sur la protection, au lendemain de la publication du rapport alarmant de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) sur l’état de la biodiversité dans le monde, et alors que le gouvernement et la liste Renaissance font de grandes annonces autour de l’écologie, à quelques semaines des élections européennes…
Un Conseil déchargé de 80 % de ses dossiers
Selon des informations obtenues par Mediapart, le CNPN serait en train de perdre son droit de regard sur les demandes de dérogation à la protection des espèces protégées(1).
En effet, selon la procédure actuellement en vigueur, les porteurs de projet d’aménagement (autoroute, grande surface, aéroport, parc éolien…) doivent obtenir l’autorisation de la puissance publique si leurs travaux ont un impact négatif sur l’habitat ou les conditions vitales de la faune et de la flore sauvages protégées.
Le CNPN, créé en 1946 et référence en la matière, émet alors un avis consultatif.
Mais un projet de décret devrait bouleverser les procédures d’autorisation environnementale : l’immense majorité des demandes de dérogation seraient désormais traitées par les Conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel (CSRPN), instances directement nommées par les préfectures, Régions et départements. De là à imaginer que ces derniers seraient plus sensibles aux pressions politiques et économiques locales, il n’y a qu’un pas.
Selon les estimations des membres du CNPN, ces nouvelles règles devraient faire que 80 % des dossiers leurs seraient retirés.
Un retour de bâton de Notre-Dame des Landes ?
Mais même si le CNPN ne rend que des avis consultatifs, le fait qu’il s’agisse de l’une des plus anciennes et plus vénérables institutions de protection de la nature en France donne du poids à ces avis. Ces derniers obligent en effet les porteurs de projet à consacrer des mois et de l’argent, à revoir leur copie en cas de jugement défavorable, les poussant souvent à reprendre pendant plusieurs mois, leurs études d’impact et leurs analyses préparatoires.
Quant aux opposants aux projets d’aménagement, ils appuient régulièrement leurs recours en justice sur les avis du CNPN, comme dans le cas de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
Au fil des ans, le CNPN a rendu des avis défavorables sur bien des dossiers sensibles, du fait des montants en jeu ou de leur visibilité. Mediapart cite ainsi en exemple le grand contournement ouest de Strasbourg, la route du littoral à La Réunion ou le parc éolien offshore au large des îles d’Yeu et de Noirmoutier.
L’intention de Matignon de réduire l’espace d’intervention du CNPN est évidente.
Comme le souligne Mediapart, « les services du ministère de la Transition écologique ont en effet fait savoir aux responsables de la commission Espèces et communautés biologiques du CNPN, chargée d’examiner les demandes de dérogation, que l’administration se plaignait des bâtons dans les roues que représentaient leurs avis ».
Sous la pression d’Emmanuelle Wargon
Dans un texte collectif publié dans le club de Mediapart, une vingtaine de membres du CNPN sur 60, appellent à « définir clairement, sur des bases scientifiques, les critères de répartition de l’examen des dossiers entre les niveaux régionaux et nationaux. Il est indispensable que le CNPN et les CSRPN continuent d’exercer pleinement leurs missions respectives et complémentaires, et d’oeuvrer ensemble à de meilleures définitions et mises en oeuvre des réglementations liées à la protection de la biodiversité ».
« Leur priorité, c’est l’aménagement et pas la protection de la nature », se désole également un responsable du Conseil. En effet, toujours selon Mediapart, lors d’une récente réunion, Emmanuelle Wargon, secrétaire d’état à la Transition écologique, a déclaré aux scientifiques du Conseil qu’ils devaient « fluidifier et faciliter » les procédures de dérogation et élaborer avec son ministère « une doctrine commune ».
En 2018, sur 244 avis rendus par ce Conseil, 100 ont été défavorables et accompagnés de recommandations, répartis entre ces principaux secteurs d’activité : urbanisme, énergies renouvelables (28 avis négatifs l’année dernière), carrières, routes, bases de loisirs et cours d’eau.
La réforme supprimerait également la consultation de l’ONF et de certains acteurs de l’eau.
Alors que l’écologie et la nécessité de protéger et favoriser la biodiversité sont au coeur des préoccupations, comment peut-on encore vouloir ligoter les instances (qui plus est non contraignantes) pouvant oeuvrer en ce sens et éviter certains grands projets allant contre l’intérêt général ?