Les premières ont émergé sur les sommets : dans les Alpes, elles sont déjà six en exploitation, cinq en développement. Le but de ces modèles originaux de production décentralisée d’énergie renouvelable : consommer localement l’énergie produite localement.
Ainsi, à La Motte-Servolex, une centrale photovoltaïque villageoise d’une puissance de 23 Kwc a été installée il y a un peu plus de deux ans sur le toit de la salle des fêtes. Depuis, de nombreuses installations communales s’y sont peu à peu raccordées : Hôtel de Ville, EHPAD, cuisine municipale, maison des associations, école de musique…
« Nous allons à court terme vers une auto-consommation totale de la production », se réjouit le maire, Luc Berthoud, qui a signé une convention d’auto-consommation collective avec Enedis, en 2019, dans le cadre d’une expérimentation alors menée avec les Parcs naturels régionaux de Rhône-Alpes. Ces derniers ont vu éclore les projets pilotes dès 2010, mais les centrales villageoises sont désormais sorties de ces limites régionales : elles sont déjà 360, de tailles diverses – de 150m2 de panneaux solaires sur les maisons d’un hameau à 500 m2 sur des gymnases – dans sept régions différentes, avec beaucoup d’initiatives en particulier en Alsace, mais aussi en Bretagne ou dans la commune d’Arles, très étendue, qui englobe toute la Camargue et vient de mettre en service ses deux premières installations.
Les territoires ruraux, fers de lance du changement
« C’est une évolution qui va de soi, estime Luc Berthoud. Il est du devoir des collectivités de se montrer exemplaires en terme d’innovation énergétique », insiste ce maire pionnier. « Les territoires ruraux sont un modèle, pour mener une transition énergétique de terrain avec des actions concrètes », explique de son côté Hubert Remillieux, chargé des études et du développement du collectif ACOPREV – Centrales Villageoises du Val de Quint.
Ce projet, qui rassemble six communes rurales de la Drôme (soit 750 villageois) a été le premier projet d’auto-consommation collective porté par le très dynamique réseau national des « Centrales Villageoises ».
« En 2017, les maires et anciens maires de Saint-Julien en Quint, une petite commune proche de la ville de Die, ont commencé à s’intéresser à la question, ont consulté la population, ont commencé à mobiliser des partenaires… Puis, tout s’est enchaîné, et on a été retenus comme site pilote par le projet européen Pégasus, conduit par Auvergne Rhône Alpes, qui vise à étudier dans le détail une opération d’auto-consommation collective en zone rurale... »
L’émergence de la crise sanitaire a donné un léger coup de frein, mais si le COVID a compliqué et retardé la première partie de l’opération, il ne l’a pas interrompue : depuis septembre 2020, un site de production photovoltaïque a été installé sur une toiture du village, et l’électricité qu’elle produit est partagée entre 38 consommateurs – ils n’étaient que 24 au commencement, mais la zone est peu à peu élargie.
« On est en train d’installer autres sites pour pouvoir, à terme, partager l’énergie produite entre les six communes d’ACOPREV », explique Hubert Rémillieux.
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Centrales énergétiques villageoises – Un modèle de démocratie participative
La société fonctionne sur un modèle coopératif, comme toutes les centrales villageoises : « Ce sont des sociétés locales à gouvernance citoyenne : leur actionnariat est composé des habitants des communes concernées, ainsi que de quelques collectivités et d’entreprises locales. Une personne = une voix, quelque soit le capital détenu par la personne », résume Étienne Jouin, coordinateur du réseau à l’échelle nationale.
Une cinquantaine de collectifs ont déjà émergé : chacun est indépendant, structuré en société, mais respecte la charte des Centrales Villageoises et des statuts de type coopératif.
Chacun peut lever du capital auprès d’actionnaires, emprunter pour investir dans les projets, mais 90 % de son actionnariat provient toujours du territoire. « C’est vraiment l’objectif de la démarche, souligne-t-il. Notre association structure un réseau qui favorise la démocratie participative locale et ramène la politique aux mains des citoyens. Nous agissons dans un bassin de vie assez réduit, pour que les bénévoles qui portent le projet connaissent bien le territoire ! On apporte des solutions à l’échelle locale et on embarque des élus dans l’aventure, avec souvent une forte adhésion des collectivités ».
Ces dernières prennent des parts (elles sont 180 parmi les actionnaires) et apportent aussi des facilités pratiques, mettent à disposition les toitures de bâtiments publics, par exemple : la moitié des centrales sont installées sur ce type de bâtiments. « Ainsi, on mobilise citoyens et collectivités dans des projets concrets et on peut leur proposer d’investir leur épargne dans un projet qui a du sens, ancré dans leur territoire ! »
Les centrales villageoises en chiffres
- Une association nationale
- 57 collectifs Centrales Villageoises en France, dont 44 actuellement structurés en société et 32 produisent de l’électricité
- 360 installations, de 50 à 500 m2 de panneaux
- 42 toitures équipées pour la plus grosse centrale villageoise actuellement, à Grésivaudan
- + 5000 actionnaires dans les 44 sociétés créées, chacune ayant plus de 80 actionnaires
- 4850 citoyens et 180 collectivités parmi les actionnaires
- 20 km : le rayon dans lequel peuvent se regrouper les différents acteurs (producteurs et consommateurs) d’une centrale villageoise, en zone rurale.
Chacun agit aussi… en son propre intérêt !
C’est le cas dans le Val de Quint, où les 110 sociétaires de la centrale sont tous très motivés : « Ils ont investi dans une société qui produit l’électricité qu’ils consomment ! Donc ils ont doublement intérêt à ce que ça marche, pour rentabiliser leur investissement et pour faire des économies sur leur facture énergétique », remarque Hubert Rémillieux.
Cela suppose une certaine flexibilité. « Le bar-restaurant du village fait chauffer ses fours au moment où on produit le plus. Deux de nos utilisateurs ont des véhicules rechargeables : la consigne et l’intérêt, pour pouvoir la recharger en profitant de l’électricité locale, c’est de la brancher lors des pics de production, c’est-à-dire en journée, surtout l’été ! Idem pour l’un de nos viticulteurs, qui consomme beaucoup de froid pour ses caves… Les utilisateurs ont les clés, c’est plus responsabilisant, et ils font selon leurs possibilités. En consommant moins, on consomme mieux ! »
Un autre allié inattendu : le compteur communiquant Linky, si décrié, qui prouve pourtant dans ce type de projets son utilité, car il faut pouvoir mesurer exactement combien consomme chacun, à l’instant T, pour répartir au plus juste l’électricité produite.
« Au-delà du foyer, le développement massif des petits producteurs serait inenvisageable sans un compteur capable de connaître en temps quasi réel l’état du réseau », souligne le directeur régional Enedis, Sylvian Herbin.
De nouveaux alliés, de nouveaux exemples…
« Nous sommes quasi entièrement équipés de ce type de compteurs, et toutes nos armoires électriques sont dotées de capteurs » reconnaît Patrick Barbier, maire de Muttersholtz. Ce village alsacien de 2.000 habitants, élu Capitale française de la biodiversité, a été sélectionné par le ministère de l’Écologie pour faire partie des pionniers du label « Territoire à Energie Positive pour la Croissance Verte (TEPCV) ».
Ici, l’auto-consommation collective n’est qu’un des outils du changements, au sein d’une vaste panoplie d’actions vertes – déjà, il y a un demi siècle, la commune a accueilli la première Maison de la Nature en France ! Actuellement, un projet d’extinction nocturne est en cours et tout l’éclairage public est équipé de capteurs pour mieux mesurer et maîtriser la consommation.
Les deux micros-centrales hydroélectriques font donc partie intégrante d’un objectif ambitieux : « Produire autant d’énergie qu’on en consomme, voire plus, résume l’élu. Chez nos voisins allemands, c’est le cas de la plupart des communes… et cela nous inspire beaucoup »
L’Europe prouve ainsi qu’elle peut être un exemple motivant à l’échelle rurale et locale… tandis que les campagnes françaises démontrent qu’elles peuvent devenir source d’inspiration pour les villes, petites ou grandes !
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Énergie – Le modèle de demain ?
« Notre modèle est en train de se reproduire sur de nouveaux territoires, se félicite Etienne Jouin. Il contribue à une nouvelle dynamique dans des métropoles comme Lyon, avec son collectif 1, 2,3 Soleil, ou même Paris, avec son projet de coopérative citoyenne EnerCit’IF. A l’échelle de grandes agglomérations, ces projets sont dans le même esprit que les nôtres. En parallèle, la démarche Energie Partagée, qui est un peu le porte-parole de l’énergie citoyenne en France, propose aussi une charte et rassemble une grande diversité de projets, sur des territoires variés et des villes ou villages très différents »