Le principe de mesures compensatoires des atteintes à la biodiversité engagées sur les grands projets d’infrastructures s’applique dans tous les cas où un projet d’aménagement du territoire le nécessite, qu’il soit d’envergure (routes, ponts, etc.) ou non (logements collectifs, etc.). Une étude sur les grands projets vient de sortir et ses résultats sont loin d’être bons !
Contexte des mesures compensatoires
Si l’on se doit de protéger la biodiversité, les milieux et les écosystèmes, il s’agit de le faire intelligemment et avec un cadre réglementaire aussi efficace qu’efficient. C’est dans cette optique que les prémisses des mesures compensatoires ont vu le jour il y a de cela des décennies dans le droit français.
Mais le principe de ce que l’on appelle la séquence « Éviter, Réduire, Compenser » (ERC) n’a réellement été élevé au rang de doctrine d’État en 2012 puis consolidé en 2017.
Chaque projet d’aménagement est donc contraint d’éviter tout impact négatif sur l’environnement. Si cela n’est pas entièrement possible, ce même projet doit justifier de mesures de réduction de cet impact négatif, et éventuellement, compenser la perte environnementale.
Avec une perte de sols naturels et agricoles qui avoisine les 70.000 hectares par an du fait de l’artificialisation, l’enjeu des mesures compensatoires est immense.
La portée de la compensation écologique
Une étude publiée le 4 septembre par le Muséum National d’Histoire Naturelle en collaboration avec laboratoire Écologie Systématique Évolution (AgroParisTech, CNRS, Université Paris-Sud) démontre que 80 % des mesures compensatoires sur de grands projets sont totalement insuffisantes(1).
Les raisons de cet échec sont multiples à commencer par le choix des terres qui servent de compensations. En effet la plupart des terres qui ont servi à compenser les projets initiaux n’étaient pas d’un seul tenant. C’est à dire que d’un côté ont été dégradé des terrains d’un seul bloc et que les terres servant de mesures compensatoires étaient quant à elles fragmentées ce qui déséquilibre inévitablement le résultat.
D’autre part, le principe des mesures compensatoires voudrait que les terres acquises afin de compenser le projet initial soient dégradées. L’aménageur doit donc y investir (renaturation, plan de gestion des fois jusqu’à 30 ans, etc.) afin d’y obtenir un gain en biodiversité. Là encore le bas blesse puisque les gains en biodiversité suite aux projets d’infrastructures ont été, à peu de chose près, nuls… Ce qui va à l’encontre du « zéro perte nette de biodiversité » que l’on nous martèle depuis le départ de Nicolas Hulot.
Enfin, la problématique des surfaces faisant compensation n’est pas des moindres. D’un côté ce sont 2.451 hectares de projets qui ont été étudiés et de l’autre ce ne sont que 577 hectares qui ont servi aux mesures compensatoires…
Un bilan à contraster ?
Les résultats présentés par cette étude ne font état « que » de grands projets, 25 pour être exact. Ces 25 grands projets ont effectivement obtenu les autorisations nécessaires et sont répartis entre les régions Occitanie et Hauts de France.
Il serait donc vraiment intéressant non seulement de voir ce qu’il se fait, et comment, ailleurs (prises de décisions, personnes compétentes, bureaux d’études en lice, ambitions des autres régions, etc.), mais aussi de regarder de plus près quels sont les résultats sur des projets de moindre ampleur.
L’objectif ici ne serait pas autant de faire valoir l’efficacité des mesures compensatoires, mais bien de tirer expérience d’un maximum de projets pour faire avancer la méthodologie et la réglementation. En somme, ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain car les 20 % de « réussite » sont scandaleusement et ridiculement trop peu, mais peuvent nous servir d’exemple !
Mesures compensatoires – Du constat…
Un outil est fait pour être utilisé et surtout pour évoluer, à plus forte raison quand il est réglementaire… L’élaboration des mesures compensatoires dépend pour beaucoup des parties « Éviter et Réduire » juste avant. Commencer par maximiser ces deux parties semble déjà essentiel, notamment en matière de superficie utile aux projets initiaux.
De nombreuses personnes de terrain participent à l’élaboration de ces mesures compensatoires mais peu, au final, sont réellement sensibilisées à la chose, si ce n’est par la contrainte de la loi et du portefeuille. Les personnes engagées dans l’élaboration et l’évaluation de ces mesures devraient gagner en compétences sur le sujet ce qui implique qu’il y ait plus de fonds pour cela.
Les bureaux d’études sont souvent mal rémunérés, les personnels des régions et des DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) ont des missions de plus en plus nombreuses sans avoir forcément plus de moyens et les aménageurs ne voient la séquence ERC et les mesures compensatoires que comme des freins à leurs projets alors qu’ils pourraient en être des outils de valorisation.
… au changement
CNB (Conseil National de la Biodiversité), CNPN (Conseil national de la protection de la nature) et autres associations et fédérations professionnelles d’ingénieurs en écologie telles que l’AFIE (Association française interprofessionnelle des écologues) ou l’UPGE (L’Union professionnelle du génie écologique) sont parties prenantes de l’évolution de ces mesures.
Toutes ces personnes et bien d’autres qui sont compétentes sur le terrain travaillent d’arrache-pied et bénévolement (sic) à alimenter la réglementation et la méthodologie. Il est désormais temps que l’État prenne la mesure de l’importance de sa participation à tous ses travaux pour autre chose qu’une simple collecte de doléances et de données, pour enfin devenir un acteur à part entière sur le sujet et ce autant financièrement que politiquement.
Il est à gager que la loi sur l’artificialisation des sols annoncée pour le printemps 2020 avec pour objectif « zéro artificialisation des sols » sera très certainement déconnectée des expériences de la séquence ERC et des retours d’expériences qui sont d’ores et déjà en notre possession. Pessimiste ? Espérons qu’un Mea-culpa d’ici là…