Sommes-nous altruistes à la naissance ? Au Baby Lab de l’Institut Max Planck à Leipzig, on teste les tendances naturelles à l’entre-aide d’enfants âgés de 3 à 18 mois. On a observé que quand des enfants de 18 mois voient quelqu’un faire tomber un crayon ou avoir des difficultés à ouvrir un placard, ils vont spontanément vers lui pour l’aider.
L’altruisme, un mouvement inné
Pourquoi l’altruisme chez les moines, eh bien il serait également présent chez le bonobo, et présent chez le bébé. Même les tout petits, de 3 à 6 mois, attestent de l’altruisme. Quand on leur présente trois chiens en peluche, l’un qui essaie d’ouvrir une boîte en plastique, un deuxième qui l’en empêche et un troisième qui l’aide, ces enfants montrent une préférence très nette pour le chien altruiste. Ils le regardent plus longtemps, le touchent et lui donnent de la nourriture, le préférant à celui qui se montre méchant.
Selon les chercheurs qui organisent ces expériences, l’altruisme est un mouvement inné chez l’homme.(2)
L’altruisme vient de l’empathie
L’altruisme, ou le désir d’aider l’autre, viendrait en fait de notre empathie naturelle, c’est-à-dire du fait que l’on ressent les mêmes émotions que ceux qui nous entourent.
Selon Frans de Waal, éthologiste [NDLR : l’éthologie est la science des comportements des animaux dans leur milieu naturel] mondialement connu, auteur de Le bonobo, Dieu et Nous, à la recherche de l’humanisme chez les primates :
« Nous sommes programmés pour être empathiques, pour être en résonance avec les émotions des autres. Cette résonance est une réaction automatique sur laquelle nous avons peu de contrôle. »(3)
Les recherches de Frans de Waal montrent clairement que de très nombreux animaux manifestent également de l’empathie, ce qui brouille la vision traditionnelle selon laquelle l’homme et l’animal ne partageraient pas les mêmes émotions.
De Waal a observer de nombreux exemples : des singes qui refusent d’activer un mécanisme leur distribuant de la nourriture quand ils réalisent que le système envoie des décharges électriques à leurs compagnons, des dauphins qui soutiennent un compagnon blessé pour le faire respirer à la surface, des éléphants qui s’occupent avec beaucoup de délicatesse d’une vieille femelle aveugle…
« Je pense, explique-t-il, que l’empathie est apparue dans l’évolution avant l’arrivée des primates : elle est caractéristique de tous les mammifères et elle découle des soins maternels. Lorsque des petits expriment une émotion, qu’ils sont en danger ou qu’ils ont faim, la femelle doit réagir immédiatement, sinon les petits meurent. C’est ainsi que l’empathie a commencé. Ça explique aussi pourquoi l’empathie est une caractéristique plus féminine que masculine. »
Les limites de l’empathie et de l’altruisme
Cependant, si l’on ne peut pas s’empêcher de rire quand on voit quelqu’un rire, ou de pleurer en même temps qu’un ami, les scientifiques ont montré que cet effet miroir est nettement moins fort quand l’autre est différent de nous. Un chimpanzé baillera au vu d’un autre chimpanzé qui baille seulement s’il le connaît, pas si c’est un étranger.
Chez les humains, c’est pareil : on baille, on rit ou on pleure plus souvent quand il s’agit d’un ami proche ou d’un parent, que dans le cas contraire.
On sait maintenant que ces réflexes empathiques sont affectés chez les enfants autistes. De même, il semblerait que les psychopathes comprennent les émotions des autres, mais que cela les laissent totalement indifférents. Il y a donc quelques exceptions à la règle.
Et enfin, ce n’est pas parce qu’on ressent de l’empathie au vue des souffrances de l’autre qu’on lui viendra nécessairement en aide. Dans la fameuse parabole du bon samaritain, citée par de Waal, plusieurs personnes passent à côté d’un homme blessé sur le chemin sans l’aider, avant qu’un étranger passe et lui porte secours.
Si tout acte altruiste prend sa source dans notre empathie naturelle, l’inverse n’est donc pas vrai. Ce n’est pas parce qu’on ressent les émotions des autres qu’on est nécessairement altruiste. C’est une attitude qu’il faut cultiver. Comment ?
La méditation comme thérapie humaine : la méditation modifie la structure du cerveau
Pour le moine bouddhiste Matthieu Ricard, la solution se trouve dans un acte quotidien d’une simplicité confondante : la méditation. L’altruisme, pense-t-il, n’est pas spontané chez la plupart d’entre nous, et demande à être cultivé grâce à la pratique quotidienne de la méditation.
Ce constat n’étonnera pas de la part d’un moine bouddhiste. Les religions ont toujours prêché la tolérance et l’amour des autres et assoient ces vertus sur une pratique régulière de la prière et de la méditation. Ce qui est nouveau c’est que Matthieu Ricard a collaboré avec des scientifiques, des psychologues et des neurologues, en Europe et aux États-Unis. Ils ont étudié son activité cérébrale pendant et après les séances de méditation et ont découvert des choses étonnantes.
Ayant observé en laboratoire l’activité neuronale de personnes qui agissent, ou non, de façon altruiste, ces chercheurs ont constaté que les zones du cerveau qui s’activent sont différentes dans chaque cas. L’assistance envers des personnes qui nous sont proches ou qui nous ressemblent, et l’absence d’altruisme envers des étrangers serait donc « naturel ». Elle est même très difficile à combattre et serait à la base des multiples formes de rejet de l’autre, qui vont du racisme à la guerre.
Cependant, en examinant l’activité cérébrale de personnes qui méditent régulièrement, les scientifiques constatent que ces différences s’estompent, voire disparaissent complètement. C’est-à-dire que la pratique de la méditation modifie la structure même du cerveau. Et ils constatent les mêmes changements chez des sujets qui ne méditent que depuis quelques jours ou quelques semaines. Dix minutes par jour suffiraient.
Conclusion : soyons altruistes si nous voulons changer le monde
Matthieu Ricard est tout sauf un doux rêveur. Il cite des psychologues et des médecins, mais aussi des économistes et des responsables politiques selon lesquels l’altruisme est une valeur pragmatique, bien plus en adéquation avec la réalité que l’égoïsme :
« L’égoïste se coupe de la réalité en imaginant qu’il est une entité autonome capable de vivre sans se préoccuper du sort des autres », affirme-t-il. « Il est prouvé que la coopération a toujours amené à des niveaux de complexité et de progrès bien plus élevés que la compétition. Autant de raisons pragmatiques qui prouvent que l’altruisme n’est pas un luxe, mais une nécessité. Et ça tombe bien, car cela correspond à l’aspect fondamental de l’être humain qu’est l’ouverture à l’autre. »
Illustration bannière : Bonobos – © Sergey Uryadnikov Shutterstock
- « L’empathie caractérise tous les mammifères », entretien avec Frans de Waal, Natalie Levisalles, 11/03/2010, Libération
- Vers un monde altruiste ?, documentaire de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade, ARTE, le 26/02 et le 04/03 à 9h55
- « L’empathie caractérise tous les mammifères », entretien avec Frans de Waal, Natalie Levisalles, 11/03/2010, Libération
Pour un scientifique, un humain est un animal du genre Homo. Il n’y a donc aucune raison pour que ses émotions diffèrent de celles d’un animal proche sur le plan évolutif. Ce sujet a été largement défloré par Alfred Espinas : Des Sociétés animales, étude de psychologie comparée (1877).
Par contre, il n’y a aucun raison de penser que l’empathie soit plus importante chez l’humain que l’égoïsme. C’est le vieux débat du XVIIIe s. sur : l’homme est-il bon ou méchant ? Débat entre Adam Smith et John Locke, entre Rousseau et Voltaire. La réponse apportée à cette question par les siècles suivants est : il est les deux à la fois, animé simultanément par l’eros et le thanatos.
Les bouddhistes feignent d’ignorer ces deux siècles de réflexion scientifique sur le sujet. Parce que dans les années 1960, ils ont décidé sciemment d’utiliser le discours scientifique non pour dire la vérité mais pour diffuser leur religion en Occident. Or, le bouddhisme n’a rien a voir avec la science. Ce qui n’enlève absolument rien à sa valeur.
Après lecture de l’article sur l’altruisme,il semble édifier tout un chacun de nous et nous permet de nous corriger au jour le jour pour devenir des hommes et des femmes aimables et aimés. Tel est à mon avis notre mission sur terre, c’est à dire celle de donner sans recevoir en retour. Merci
Plaquer des concepts moraux humains sur des animaux, et même sur des enfants en bas âge, n’a aucun sens.
Les animaux ne sont ni altruistes ni égoïstes . Ils veillent à leur survie : « amicaux » s’ils ne ressentent aucune menace , mais toujours prêts à se défendre. Je croyais que Nietzsche avait bazardé toutes ces conneries chrétiennes.
Hélas non. Tout est toujours là. Ils n’ont pas lu non plus » Malaise dans la culture » 🙂
Ni altruistes ni égoïstes les animaux?Pourtant l’article me semble édifiant!A chacun ses croyances, le plus difficile sans doute étant de les remettre en question; et les « conneries chrétiennes » semblent partagées par d’autres spiritualités; encore faut-il accorder du crédit à la méditation et aux recherches sur le cerveau qui en découlent et ne pas tout balayer sous le tapis de ses certitudes!
Il ne s’agit pas de concepts moraux justement, Jean. Vous n’avez pas bien lu l’article. Les scientifiques s’intéressent de plus en plus aux réactions spontanées des animaux et des petits humains devant les émotions des autres et constatent que l’empathie est une réaction neurologique automatique. C’est ça qui est intéressant ici.
Depuis quand est-ce que la coopération entre membres d’un groupe est une « connerie chrétienne »? Au contraire, elle est objectivement plus intéressante que la compétition, puisqu’elle donne de meilleurs résultats pour l’individu et pour le groupe.