« La créativité, regrette Serge Pilicer, n’a jamais été dans le camp des politiques, qui vivent sur des modèles de plus en plus passéistes. Les citoyens, les entrepreneurs, qui prennent le pouls de la société, ont des idées qui pourraient être intégrées dans une forme de gouvernance réinventée », alors que les acteurs politiques « considèrent que c’est à eux de donner l’idée ».
Mon e-parti, une plateforme de débat et d’expression pour les citoyens
Pour changer cette logique, et ramener les citoyens dans les isoloirs, il faut que l’opinion des citoyens soit mieux entendue, estime l’entrepreneur à l’origine de plusieurs forums numériques. Il lance donc Mon e-parti, dans la veine des civic techs, ces technologies qui permettent au citoyen de s’informer et de participer, une plateforme de débat et d’expression de son avis.
Le constat sous-jacent est en effet inquiétant : 20 millions de personnes qui ne veulent plus voter sur 45 millions de votants. Et parmi ceux qui votent, beaucoup qui n’ont plus confiance, voire se sentent trahis. « Aux prochaines élections présidentielles, celui qui sera élu le sera par une minorité », s’indigne Serge Pilicer. Cela conduit à un sentiment d’exclusion et de frustration pour le citoyen qui considère qu’il a des idées, et que son opinion doit compter.
consoGlobe.com – Comment Mon e-parti ambitionne-t-il de remédier à cette situation de défiance envers l’action politique et de désengagement ?
Serge Pilicer – On a imaginé une dynamique qui va créer la rupture, recréer la confiance entre le citoyen, lui donner le sentiment que son vote est utile. Il y a tout un tas d’initiatives qui fleurissent, qui permettent de réengager le citoyen, de lui demander plus activement son avis. Mais en réalité, cette démocratie participative ne va pas jusqu’au bout, parce qu’elle n’est pas inclusive. Il faut que son vote impacte plus le décideur public. On voit qu’un grand nombre d’outils de civic tech imaginent des solutions très performantes qui ne sont pensées que pour améliorer les performances des politiques, les faire gagner. Ces outils ne répondent pas au nombre d’abstentionnistes qui grandit. On a donc des outils de plus en plus intelligents avec de moins en moins de votants. Mon e-parti est une plateforme 100 % mobile qui a l’ambition de parler à 45 millions de votants et non pas aux 10.000 « sachants ».
consoGlobe.com – Comment allez-vous faire pour justement impliquer des citoyens en masse ?
Serge Pilicer – Si on met le citoyen au coeur du système, si on le valorise, par des actions de communication, si on lui répète que son opinion compte, que la mesure peut être portée à l’endroit de ceux qui nous gouvernent, la confiance se recrée. [Avec Mon e-parti] on mesure une audience massive partout en France, on portera son opinion par des actions de lobbying visibles. Les gens vont le voir, les décideurs locaux et nationaux recevront un indicateur de tendance, de bruit permanent, ce qui est plus important qu’un simple panel. Le bruit aujourd’hui fait la différence, représentant ceux qui s’engagent ou se désengagent.
consoGlobe.com – Comment ferez-vous pour recruter des millions de citoyens, comme les plateformes de pétitions avaaz.org ou change.org le font ?
Serge Pilicer – Le site pétitionnaire est basé sur un sentiment de rébellion ou de contestation, donc sur la colère des gens, et les trois-quarts du temps les questions sont pertinentes, mais elles sont fermées. Si on regarde la pétition sur change.org [relative à la loi El Khomri sur le travail], 800.000 personnes, c’était conséquent. Mais si on veut peser, il faut engager tous les citoyens, pas une communauté plus qu’une autre. Sur change.org, la question était « qui est contre ».
La manière qu’utilise tout le monde pour recruter, c’est de l’acquisition digitale. Ça ne nous paraît pas positif. Donc on a essayé de développer un système avec différents canaux. Il y a d’abord un système de recrutement « RSE », en nous adressant à des entreprises, en les interpellant sur leur responsabilité, « vous ne pouvez pas ne pas vous sentir concernés ». Les industriels de plus en plus estiment qu’ils doivent jouer un rôle. Donc on leur demande de nous donner accès à des actions de visibilité massive. On est en train de signer un certain nombre de partenariats importants pour accéder à cette visibilité.
consoGlobe.com – Pouvez-vous nous donner des exemples ?
Serge Pilicer – On est par exemple, en train de travailler avec un opérateur télécom de plus de 10 millions de lignes, qui considère qu’il a la responsabilité de parler à ses utilisateurs, en mesurant leur satisfaction, et en leur demandant de s’exprimer, et donc d’apparaître comme un industriel responsable. Quand vous avez tous les matins plus de 10 millions de personnes qui, en ouvrant leur téléphone tombent sur l’application, vous avez un phénomène de récurrence massif, qui fait que vous avez là une audience massive.
consoGlobe – Quand l’outil Mon e-parti sera-t-il complètement déployé, sachant que l’appli est déjà téléchargeable en une première version sur l’AppStore d’Apple et pour Android ?
Serge Pilicer – La phase d’ouverture prend du temps : il faut montrer patte blanche, on vient d’avoir l’agrément CNIL. On arrivera en février avec la version complète. Avec cet acteur [l’opérateur téléphonique], on aura rapidement 2,5 millions de personnes. La moitié des autres outils de civic tech ne sont pas sur mobile et appli, mais que sur site web. Et parmi celles-ci, beaucoup sont conçues pour les politiques. La question c’est « bonjour M. Untel (responsable politique), que pensez-vous du port de la burqa ? », par exemple. Le citoyen n’a pas envie d’entendre la question posée de cette manière. Il préfèrerait qu’on pose la question suivante : « M. Untel, que pensez-vous de l’avis des citoyens sur le port de la burqa ? ». On passe du « top down » à une organisation « bottom up » où en réalité, on demande l’avis sur l’avis des citoyens.
consoGlobe – Ne craignez-vous pas que l’on vous reproche d’encourager une forme de démocratie de l’opinion, de République sondagière ?
Serge Pilicer – On me fera des reproches, mais ma position c’est d’essayer. Il ne s’agit pas de gouverner par des sondages, mais d’être au plus près des citoyens pour suivre les tendances. Tout ça doit se réguler, mais de toute façon, le système va dans le mur. Ceux qui feront la différence demain, ce sont les citoyens. Regardez ce qui s’est passé pour la primaire des écologistes. Notre outil va être utilisé par les citoyens comme chambre d’écho et de l’autre côté l’élu, voire l’entreprise peut l’utiliser de manière permanente pour mesurer les tendances, le bruit. Le problème n’est pas de savoir quelle civic tech va gagner, elles vont gagner, c’est inéluctable. Les politiques vont devoir remettre le citoyen dans la cité.
consoGlobe – Comment ferez-vous pour que les participants ne votent pas juste de manière épidermique, mais considèrent les tenants et aboutissants d’une question avant d’exprimer leur avis ?
Serge Pilicer – La formulation de la question est importante. Pour notre ligne éditoriale, nous avons 22 rédacteurs, experts journalistes, qui nous font remonter chaque lundi soir les questions réécrites. On sélectionne ce qui fait l’actualité sur les questions thématiques. On a une ligne éditoriale indépendante. Avant de voter sur une question, je peux découvrir trois boutons. Le premier indique « les médias en parlent », le deuxième « ils sont pour » et le troisième « ils sont contre ». Derrière le premier, les rédacteurs ont pour mission de nous fournir des articles ou extraits d’articles qui peuvent nourrir la réflexion des gens qui vont voter. Donc je peux me faire une idée avant de voter. Et je peux découvrir des commentaires des autres internautes. Ensuite, je vote, avec cinq niveaux d’expression d’émotion (waouh, cool, neutre, bof, beurk), et après je peux laisser un commentaire. Ensuite on pourra créer des communautés d’intérêt. On pourra poster des contributions, des textes, des images, des vidéos…
consoGlobe – Qu’est-ce qui distingue Mon e-parti par rapport à Loomio ou bien l’appli GOV ?
Serge Pilicer – Les outils existants ne mesurent pas la parole d’une opinion sur n’importe quelle localité, elles ne font que des mesures macro. Avec Mon e-parti, je connais le vote de mon département par rapport à ma région et de ma région par rapport à la France. Je pourrai mesurer mon vote par rapport à n’importe quel village de France.
Autre différence : on a créé Mon e-parti pour les jeunes. On aura dans un mois et demi un pilote pour les 14-18 ans pour développer une forme d’instruction civique afin de les préparer à connaître, identifier notre constitution, nos organisations politiques, qu’ils n’arrivent pas à 18 ans sans connaissance de notre système politique.
Autre différence : quelle civic tech se préoccupe des Français de l’étranger ? Nous avons un système d’ores et déjà des cartes qui apparaissent, pour la France et tout le reste du monde. On peut donc mesurer le vote des Français de l’étranger.
Serge Pilicer, fondateur de Mon e-parti
Serge Pilicer est chef d’entreprise, spécialiste de la production d’événements digitaux et sociétaux. Il a crée Mon e-parti pour « faire autre chose et autrement » avec l’ambition de réactiver l’envie des citoyens de s’exprimer sur l’ensemble des sujets politiques et sociétaux et ainsi de retrouver une identité citoyenne.
Les objectifs prioritaires étant de lutter contre le désenchantement des jeunes français et des écosystèmes qui se sentaient exclus en accélérant le passage d’une démocratie représentative en panne à une démocratie participative et inclusive. Il a rallié à cette idée trois de ses proches qui partageaient le même constat et possédaient des expériences complémentaires permettant de porter ce projet ambitieux pour lui donner une réalité et le développer durablement.
C’est ainsi que Bernard Chaumeil, connaisseur des organisations territoriales, Christian Delom, expert du numérique et start-upper, ainsi que Henri Dirat, entrepreneur et professionnel de la communication et des médias, se sont associés à Serge pour créer Mon e-parti. Serge est un expert du numérique, il a notamment fondé avec son entreprise les forums numériques Assises du Numérique, de la Conférence de Paris, Ruralitic, les États généraux des RIP, le Printemps du Numérique, les Entretiens de Vixouze et déjà dans les années 2000, le world e-gov forum sur l’émergence de l’administration électronique.