Interview d’Edouard Le Bart, directeur de programme, Marine Stewardship Council, France
Ce qui n’est pas mesuré n’est pas géré : cet adage managérial pourrait s’appliquer à la Méditerranée, dont les stocks de poisson, la biodiversité de manière générale et les pêcheries sont gravement menacés, mais peu compris. Le MSC (Marine Stewardship Council) et le WWF lancent donc une opération ambitieuse d’analyse de la situation pour sauver tant les poissons que les pêcheurs de Méditerranée.
La Méditerranée va mal
Zone essentielle de reproduction, de migration et d’hivernage de nombreuses espèces marines, la Méditerranée abrite des biotopes uniques au monde, tels que les herbiers de posidonies et les coraux. Mais elle est aussi soumise à de multiples pressions anthropiques issues entre autres du tourisme, du transport maritime, de l’aquaculture et de l’extraction d’hydrocarbures.
Selon la Commission européenne, on sait que 88 % des stocks évalués en mer Méditerranée sont surexploités. Toutefois, les données scientifiques manquent. Et les perspectives sont inquiétantes.
En novembre 2015, le WWF a ainsi publié le Rapport MedTrends explorant les scénarios les plus probables d’évolution de l’économie de la mer en Méditerranée. Il prévoit une baisse des bateaux de pêche professionnelle française de 1050 en 2020 à 760 bateaux en 2030, en défaveur de la petite pêche et en faveur de la grande pêche.
La maîtrise de la situation est compliquée par l’absence de quotas, hormis sur le thon rouge, de législation commune, par une flotte de bateaux très particulière, majoritairement constituée de petits bateaux pratiquant une pêche artisanale, et par un accès limité aux données.
Une pêche plus durable en Méditerranée est possible, si l’on sait d’où l’on part et où l’on va
« Ces tendances peu optimistes peuvent encore s’inverser avec une bonne gestion des pêcheries », estiment le MSC et le WWF. C’est le défi au coeur du projet Medfish, une initiative commune visant à évaluer en profondeur les pêcheries méditerranéennes françaises et espagnoles.
Le projet cartographiera dans un premier temps 100 pêcheries représentatives de la Méditerranée en France et en Espagne, pour en évaluer leur durabilité, et espérer inspirer d’autres à faire de même dans le reste de la Méditerranée.
Nous avons rencontré Edouard Le Bart, directeur de programme du MSC France pour mieux comprendre les enjeux de ce projet.
consoGlobe.com – Quel est l’urgence pour les poissons et la pêche en Méditerranée ?
Edouard Le Bart – Les chiffres récents de WWF disent en gros qu’en Méditerranée 96 % des stocks sont surexploités dans la partie européenne. La FAO estime elle que 30 % des stocks mondiaux sont surexploités, ce qui est déjà très important. Donc, avec 96 %, on est à un niveau encore bien supérieur au niveau global. L’urgence est là.
On sait aussi que la Méditerranée a beaucoup d’autres pressions qui ne sont pas liées à la pêche : ce sont les conditions environnementales, et principalement le climat, qui va avoir un impact majeur dans les années qui viennent.
C’est un milieu spécifique, c’est une mer fermée, il y a donc une urgence plus forte que sur les autres océans. Et, on le voit en France et en Espagne, c’est tout un tissu économique, des pêcheurs, des industries de transformation, des marchés, qui reposent tous sur la durabilité à long terme.
consoGlobe.com – Pourquoi ce programme de recherche : quel est plus précisément le manque de connaissance qui freine une pêche plus durable en Méditerranée ?
ELB – L’enjeu de ce projet MedFish est de mieux comprendre quel est le problème actuel et si on peut trouver des solutions pour plus de durabilité. On manque de connaissances sur l’état des stocks : il nous faut donc recenser celles que l’on a, puis il s’agira de voir ce que l’on peut en faire et, lorsque les données sont inexistantes, d’évaluer s’il est possible de les collecter.
Après cette photographie du secteur des pêches en Méditerranée pour la France et l’Espagne, nous étudierons les forces et faiblesses d’une sélection de pêcheries. Nous établirons ensuite un plan d’action sur deux ans, pour d’éventuelles améliorations pour sept pêcheries en France et en Espagne. Par la suite, nous espérons que ce travail pourra s’étendre dans le temps et de façon locale, à l’Italie, à la Grèce et à la côte Nord africaine. Notre projet aboutira en sept 2017.
Le saviez-vous ?
- Destination touristique de premier choix en Europe, la Méditerranée constitue une importante réserve de biodiversité, puisqu’elle abrite entre 4 et 18 % de toutes les espèces marines connues.
- La Méditerranée fait vivre une communauté de pêcheurs particulièrement dynamique, composée d’une multitude de petites flottes de pêche artisanale ciblant des espèces variées.
- L’activité de 8.300 pêcheurs en Espagne et 2.300 en France repose sur la pêche en Méditerranée.
- 70 % des 2.760 navires de pêche espagnols et 90 % des 1.400 navires français pratiquent une pêche artisanale.