consoGlobe a rencontré la fondatrice et directrice de l’association BLOOM, Claire Nouvian. Avec elle, nous avons fait le point sur la situation actuelle de la pêche en eaux profondes en France et au niveau international et tenté de mieux comprendre les conséquences économiques, écologiques et sociales de cette méthode.
Tout d’abord, qu’appelle-t-on la « pêche en eaux profondes » ou « chalutage en eaux profondes » ?
Le chalutage en eaux profondes est une technique de pêche industrielle qui consiste à traîner de vastes filets lestés sur les fonds marins. De fait, cette méthode s’avère dangereuse pour la faune et la flore des abysses. En effet, les chaluts raclent le fond des océans jusqu’à 1.500 mètres de profondeur : ils détruisent lors de chaque passage des écosystèmes qui ont mis plusieurs milliers d’années à se constituer.
Il existe d’autres types de pêche en eaux profondes. Par exemple, la pêche à la palangre et la pêche aux casiers. La pêche à la palangre est une méthode qui consiste à poser une ligne principale à laquelle sont attachées des centaines de lignes secondaires garnies d’hameçons. Cette technique n’est pas exempte de problèmes, elle capture beaucoup de requins, mais son impact sur les fonds marins reste somme toute assez limité. La pêche aux casiers a elle aussi un impact plus limité sur les fonds marins, même si les courants peuvent causer quelques dégâts en « traînant » les casiers sur le fond.
La pêche semble être un secteur en perte de vitesse. Pourtant, nous sommes de plus en plus sensibilisés à la disparition de nombreuses espèces, telles que le thon rouge. Pouvez-vous nous expliquer comment la pêche a évolué au cours des dernières années ?
Dans l’imaginaire collectif, les ressources fournies par les océans représentent une manne inépuisable. Or, il résulte aujourd’hui de cette vision tronquée que les zones européennes figurent parmi les plus surexploitées au monde. Après la Deuxième Guerre Mondiale, il y a effectivement eu des avancées technologiques dans tous les secteurs, y compris dans la pêche. Il en a découlé une expansion sans précédent de la pêche industrielle : après avoir amplement exploité les eaux de surface tout autour du globe, les armateurs ont commencé à s’intéresser aux profondeurs.
Les progrès techniques qui ont été réalisés pour répondre aux impératifs de productivité n’ont cependant nullement tenu compte des rythmes naturels de la biodiversité. Or, le court-termisme qui gouverne notre époque est en inadéquation avec la longévité et la lenteur du milieu naturel.
On comprend que ce type de pêche est très dommageable. Pourtant, le fait qu’elle reste autorisée ne démontre-t-il pas qu’elle demeure très rentable pour les pêcheurs et indispensable à l’économie de la filière ?
De manière générale, la pêche est un secteur en crise, et ce, depuis les années 1990. Près de deux tiers des emplois ont été perdus et il y a 2,5 fois moins de main-d’oeuvre par navire. À l’inverse, la puissance de pêche a été multipliée par deux.
À l’opposé, la pêche artisanale pourvoit cinquante fois plus d’emplois mais ne perçoit qu’entre 5 et 7 milliards de dollars d’aides publiques, soit cinq fois moins que la pêche industrielle. Sachant qu’elle reste, en outre, très largement tributaire des prix du carburant, la pêche industrielle est donc une activité déficitaire. En un chiffre, les chalutiers de fond mesurant plus de quarante mètres consomment environ 7 000 litres de gasoil par jour ! L’État est parfaitement conscient de cette réalité. Dans le rapport de la Cour des comptes publié en juillet 2013, le montant des aides perçues par le secteur français de la pêche industrielle en 2008 a été estimé à un milliard d’euros, aides régionales et locales exclues, pour un chiffre d’affaires total de 1,2 milliard d’euros ! Cela représente une marge extrêmement faible, voire négative en considérant les aides non incluses dans cette estimation, qui, de surcroît, se réduit considérablement au fil des années.
Où en est-on de la réglementation de ce type de pêche, au niveau international ou européen ?
Le chalutage profond reste un sujet tabou pour les gouvernements européens alors que la société civile est mobilisée contre cette méthode destructrice. Preuve en est, la pétition de BLOOM pour interdire le chalutage profond a été signée par près de 900 000 personnes. Cependant, il y a une résistance et un fort lobbying de la part des défenseurs de la pêche – notamment certains députés bretons – au niveau national et au sein des instances communautaires.
Le 10 décembre 2013, le Parlement européen a rejeté l’interdiction du chalutage en eaux profondes par 342 voix contre et 326 pour. Tous les pays ne s’accordent pas sur le sujet : la France, tout particulièrement, cherche à bloquer cette mesure. Encore récemment, le 19 mars 2015, l’Assemblée nationale a refusé d’interdire, par 16 voix contre 12, le chalutage en eaux profondes.
Selon vous, quels sont les facteurs qui causent le blocage d’une réglementation plus stricte, voire l’interdiction totale du chalutage en eaux profondes ?
L’opinion publique est favorable à l’interdiction de la pêche en eaux profondes, y compris beaucoup de pêcheurs, mais le blocage provient des grandes institutions démocratiques pourtant censées représenter le peuple. La France en est le premier « coupable ». Les positions françaises font obstacle aux décisions européennes. Le lobby de la pêche industrielle Blue Fish, partiellement soutenu financièrement par le groupe Intermarché, arrive à imposer sa volonté au détriment des consommateurs.
Blue Fish est une association française consacrée, selon son site internet, à la « promotion de la pêche durable et responsable ». Mais en pratique, l’association s’illustre surtout pour son militantisme contre l’interdiction de la pêche en eaux profondes. Le Canard Enchaîné a par exemple qualifié Blue Fish de « bras armé des groupes de pêche industrielle, pour mener des actions de lobbying à Bruxelles »(2).
De plus, les pouvoirs publics soutiennent financièrement ce lobby bien ancré, alors qu’une interdiction du chalutage en eaux profondes ne coûterait d’argent à personne. En fait, on subventionne massivement ce secteur en oubliant d’évaluer sa rentabilité et son efficacité.
Pensez-vous que les pêcheurs, qui se montrent, pour la plupart, hostiles à l’interdiction de cette pratique, ont conscience des enjeux écologiques et de la nécessité de changer leur manière de travailler ?
Depuis bien longtemps, les pêcheurs ont pris conscience que la pêche en eaux profondes n’est pas viable et qu’elle épuise les stocks. La plupart d’entre eux travaille dans le milieu de la pêche artisanale et encourage donc l’interdiction du chalut. En revanche, la minorité de ceux qui travaillent dans le secteur industriel est contre le bannissement de cette méthode. Tout d’abord, ils craignent évidemment de perdre leur emploi, mais surtout ils appréhendent un éventuel élargissement d’une telle disposition à d’autres méthodes, voire l’interdiction totale de la pêche chalutière quelle que soit la profondeur.
Les pêcheurs se disent également préoccupés par l’impact négatif d’une éventuelle interdiction du chalutage en eaux profondes sur la compétitivité et le développement de la filière, et donc une éventuelle baisse de revenus, voire la perte de leur emploi. D’après vous, quelles seraient les solutions pour protéger les fonds marins, tout en accompagnant les pêcheurs dans cette transition, notamment sur le plan économique ?
Pour le moment, il n’y a pas de réelle réflexion sur la transformation des méthodes de pêche. Pourtant, la reconversion des subventions considérables accordées à la pêche industrielle permettrait aux acteurs du secteur d’aller vers une pêche artisanale.
Malgré l’importante mobilisation suscitée par votre pétition en 2013, on ne note que peu de changement en la matière. Comment l’opinion publique pourrait-elle peser sur ces prises de décisions ? (NDLR : l’amendement concernant l’interdiction de la pêche en eaux profondes présenté lors de l’examen de la loi sur la biodiversité en mars dernier a été rejeté par les députés).
C’est sous la pression des consommateurs que des enseignes de la grande distribution ont annoncé qu’elles arrêtaient de vendre des poissons pêchés par des chaluts de fond. N’oublions pas que nous possédons un pouvoir considérable.
Au quotidien, malgré la difficulté de percevoir ce qui se cache réellement derrière certaines certifications – comme le label MSC (Marine Stewardship Council créé par le WWF et Unilever) – celles-ci permettent aux consommateurs d’acheter des produits issus d’une pêche en général mieux gérée. Dans la mesure du possible, la meilleure des choses à faire reste de consommer du poisson dont on connaît la provenance et pour lesquels les méthodes de pêche employées sont clairement annoncées.
Par ailleurs, nous avons également une responsabilité en tant que consommateurs. Comme pour la viande, il n’est nul besoin de consommer du poisson chaque semaine. Notre organisme ne le réclame pas. Il est donc indispensable que la population des pays développés intègre ce facteur et réduise sa consommation de protéines animales.
- http://www.bloomassociation.org/wp-content/uploads/2013/12/4-dec-2013-Canard-Encha%C3%AEn%C3%A9.pdf
- Article scanné disponible ici : http://www.bloomassociation.org/wp-content/uploads/2013/12/4-dec-2013-Canard-Encha%C3%AEn%C3%A9.pdf
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On finiras sans doute par nous entretuer, car pour l’instant, l’espece humaine ne s’est pas modérer, elle est entraint de perdre contre elle même. Nul organisme trop béliqueu n’arrive à tenir la longueur.
Un article très réussi !
Excellent article, merci !