En opposition aux structures pyramidales léguées par la société industrielle, en permaculture, on cherche aussi à recréer un écosystème humain où toutes les compétences sont mises au service d’un projet. Coopérer, solidariser, collaborer, non pas pour produire et consommer, mais pour améliorer la qualité de notre vie et assurer un avenir durable à l’espèce humaine. On vous en dit plus sur la permaculture humaine grâce à l’éclairage de Franck Nathié, chercheur, auteur, formateur et concepteur en permaculture.
Synergie ou antagonisme ?
Imaginez un groupe de personnes passionnées par la permaculture qui décident de fonder une communauté à la campagne pour mettre en pratique leur idéal.
« Synergie » vient du grec sunergia « coopération »
Marie vient de la ville, mais ne veut plus y vivre ni y travailler. Elle cherche l’épanouissement dans un cadre naturel, n’a que peu d’expérience en jardinage, mais pense que sa conversion sera relativement facile.
Jean veut créer un lieu de vie « anarchiste » afin de prouver qu’on peut vivre sans argent et atteindre l’autosuffisance alimentaire. Ce qui lui plaît, c’est de jardiner sans plastique ni pesticides… et de jouer du djembé jusqu’à 4h du matin en buvant des bières artisanales.
Pierre veut créer une ferme biologique comme celle du Bec Hellouin et prouver au monde entier qu’on peut créer une entreprise économiquement viable, générer 50.000 euros de chiffre d’affaires sur 1000 m2 de surface, tout en faisant un lieu autosuffisant. Ce qui le motive, c’est de faire le business plan de la ferme et de gérer les tableaux Excel et la communication avec les médias.
Jeanne rêve de faire un lieu de ressourcement où la permaculture sera un support à un retour « spirituel » vers la nature. Ce qui la rend heureuse, c’est de méditer à 7h du matin et de pratiquer tous les jours la communication non violente.
À votre avis, combien de temps tiendra cette communauté ? Un an ? Trois mois ? Quinze jours ?
Le « conflit structurel » en permaculture humaine
Toutes ces personnes qui ont des valeurs et des besoins divergents, mais qui se forcent de vivre ensemble parce qu’ils ont un idéal en commun. Pourtant, si elles ne parviennent pas à identifier leurs différences et faire en sorte que chacun puisse s’épanouir sans trop gêner les autres, elles vont générer des conflits en boucle, seront malheureuses et n’arriveront pas à réaliser leur rêve.
L’histoire de notre communauté d’idéalistes qui n’arrivent pas à vivre ensemble rappelle étrangement quelque chose que connaissent tous les jardiniers : les plantes ont des besoins spécifiques et ne s’épanouissent que dans un « biotope » adapté à leurs besoins.
Les associations botaniques
Prenons deux individus botaniques, l’ail des ours et le thym serpolet et imaginons qu’une « morale botanique », du genre : « Toutes les plantes doivent s’aimer et vivre ensemble », les oblige à vivre ensemble.
L’ail des ours
Cet ail prospère dans un biotope frais, avec un sol profond et de la pluie en été. Ses voisins naturels seront les hêtres et les châtaigniers, l’aubépine, le sureau noir, le groseillier sauvage, et, plus près du sol, les ronces et l’ortie.
Imaginons qu’un ail des ours « super rustique » tombe par hasard dans un biotope sec et ensoleillé, type méditerranéen… Malgré sa résistance, que dirait-il ? « J’ai soif ! J’ai trop chaud ! C’est trop sec ici ». Ses nouveaux voisins, l’amandier, le romarin, le câprier le toiseraient de la fleur aux racines et lui diraient : « Arrête de te plaindre, on est très bien ici » ! Et plutôt que de penser qu’il n’est peut-être pas à sa place, ils le jugeraient « trop gourmand » ou « pas assez cool » en fonction de cette « morale botanique » qui dicte que tout le monde doit vivre ensemble…
Le thym serpolet
Maintenant, penchons-nous sur le cas du thym serpolet. Si on le met chez l’ail des ours, il va dépérir. Il ne sera pas heureux du tout avec cette ombre et cette humidité : « Je n’aime pas être ici ! Je me noie ! Au secours ». Ce à quoi répondraient ses nouveaux voisins : « Si tout le monde était aussi gourmand en soleil que toi, il n’y aurait pas assez pour tout le monde ! Quel égoïsme » !
Et si les hommes ressemblaient aux plantes…
Chacun d’entre nous a également son « biotope » et ne se plaît que là où il trouve les éléments qui nourrissent ses besoins particuliers. On est à l’aise avec des personnes qui partagent des valeurs communes, aspirent à vivre de la même façon, dans un lieu qui correspond à nos goûts du moment.
Il est donc évident que nos quatre individus fictifs, s’ils restent enfermés dans leurs projets individualistes, vont rapidement se heurter, se fâcher et se séparer.
À moins de faire le même travail que le jardinier quand il voit qu’une plante dépérit dans son jardin : se demander ce qui ne va pas et comment le corriger. L’observation dépassionnée de soi, la compréhension des autres, la volonté d’arriver à une solution satisfaisante pour tous seront nécessaires pour que la communauté vive.
Mon premier potager en permaculture – Pour des légumes sains et une harmonie naturelle
La permaculture… En en parle beaucoup, mais de quoi s’agit-il exactement ? Un petit lopin de terre peut tout à fait suffire… Suivez le guide et découvrez comment adapter vos méthodes de culture pour un potager naturel et harmonieux : nature du sol, culture sur butte de culture en lasagnes, compost, paillage…
Mais n’est-ce pas l’esprit même de la permaculture ?
Fonctionner en écosystème, échanger des services, coopérer les uns avec les autres, trouver un équilibre qui permet à chacun de s’épanouir.
La Permaculture est une approche systémique qui permet de créer des écosystèmes viables en s’inspirant des lois de la nature. […] Elle cherche à prendre soin de l’être humain et de l’environnement tout en générant la vie et en favorisant l’abondance et le partage(1).
Le design humain
Les mêmes principes qui guident l’organisation de la ferme ou du jardin, de la maison et de son environnement doivent s’appliquer aux relations humaines dans un groupe ou une communauté. Selon Bernard Alonso et Cécile Guiochon, le design est « un ensemble de pratiques destinées à concevoir, à planifier, à aménager, à structurer un espace, un projet, un groupe, des relations ou des organisations pour les rendre fécondes, abondantes et durables ».
Alors, quelles sont ces pratiques ?
Être attentif à soi-même
Connais-toi toi-même ! Où est-ce que je veux aller ? Qu’est-ce que je veux faire ? Par quels moyens ?
Pour atteindre ses objectifs, il faut se mettre d’accord avec son moi intérieur et connaître ses objectifs profonds. Régler ses conflits intérieurs, ne plus se laisser déborder par des sentiments négatifs ou des émotions mal contrôlées.
Différentes méthodes d’introspection existent, chacun choisira la sienne. L’important est d’évoluer, vaincre sa peur de découvrir la part obscure de soi-même. Ce n’est ni rapide ni facile, mais c’est essentiel si on veut pouvoir comprendre les autres.
Soigner son corps
En permaculture humaine, la santé physique est aussi importante que la santé spirituelle pour un développement personnel harmonieux. Être attentif à soi-même, c’est donc aussi savoir écouter son corps et en prendre soin. Il existe d’excellents outils pour cela : le yoga, le tai-chi, les massages, les sports en général…
L’alimentation, le mode de vie sont évidemment des facteurs importants dans le soin du corps. Une alimentation naturelle, de qualité, l’élimination des conflits inutiles, un travail gratifiant, sont des sources d’équilibre et de bonheur.
Être attentif aux autres
Si l’empathie est naturelle chez l’être humain, il est néanmoins nécessaire d’apprendre à écouter l’autre, à développer une attitude bienveillante, à mobiliser l’énergie positive pour limiter les incompréhensions et les conflits.
Apprendre à mieux communiquer pour tisser des relations saines. Sortir des cercles vicieux de l’agression et de la violence individualistes.
Apprendre à vivre en communauté
Comment organiser l’interdépendance, sortir des relations hiérarchiques, cultiver l’intelligence collective ? Ce sont des défis qui se présentent quotidiennement à toute organisation collective.
Mais ce sont justement les questions que la permaculture humaine tente d’élucider en s’intéressant à de nouveaux modes de gouvernance, de prise de décision et d’organisation collective. On redécouvre le partage, on invente de nouveaux modèles économiques et d’échanges.
Pour conclure, on citera à nouveau Bernard Alonso(2) : « L’être humain est en effet un mammifère social, comme les fourmis sont des insectes sociaux, et il est important que l’on réapprenne à fonctionner ensemble. À solidariser, à collaborer, non pas pour un but industriel, pour produire et consommer, mais pour améliorer notre qualité de vie et permettre la continuité de notre espèce. Parce que si nous continuons à vivre comme nous le faisons actuellement, nous allons droit dans le mur ».
Et comme dirait Thomas D’Ansembourg(3) : «Être heureux n’est pas nécessairement confortable ! Mais c’est vivant » !
Article mis à jour
- Bernard Alonso et Cécile Guiochon, Permaculture humaine, Des clefs pour vivre la transition, Montréal : Editions Ecosociété, 2016
- Dans un entretien au blog Ecosociété : http://ecosociete.org/articles/125.
- Thomas d’Ansembourg est psychothérapeute et enseignant à l’Université de Louvain en Belgique. Il a publié notamment : Cessez d’être gentil, soyez vrai ! en 2004 et Être heureux, ce n’est pas nécessairement confortable en 2016.
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