Les stewards dans les situations d’extrême urgence en avion ne nous invitent-ils pas à mettre le masque à oxygène sur notre visage avant de nous occuper de l’enfant ou de la personne qui est à côté de nous ? Pourquoi cette logique nous paraît-elle problématique au quotidien ? Et, au final, pourquoi être son propre ami n’est-il pas l’évidence qu’on pourrait penser ? C’est pour répondre à ces questions que Pierre Portevin, life-coach et praticien en développement personnel, publie aux éditions Eyrolles, l’excellent Mon meilleur ami… c’est moi – Éloge et mode d’emploi de l’amitié avec soi-même, préfacé par Ilios Kotsou.
Nous avons rencontré Pierre Portevin chez lui, à Bruxelles, pour mieux comprendre comment être plus bienveillant avant soi-même… et pourquoi vous devez absolument lire son livre !
consoGlobe.com – Auto-critique, auto-sabotage… Pourquoi Pierre, sommes-nous parfois nos meilleurs ennemis, et comment vous est venue l’urgence d’écrire ce livre ?
Notre culture actuelle a perdu de vue ce que des cultures ancestrales nous apprenaient. Si l’on prend, par exemple, ce que disait Socrate, on voit qu’en amont même du fameux “connais-toi toi-même” (gnôthi seauton en grec ancien), se trouve une autre notion lui est chère, et que l’on a oubliée : celle du souci de soi (epimeleia heautou). Il s’agit de s’éveiller à être bien avec soi-même, d’être à son écoute, de comprendre et connaître ses besoins et manières de penser. Chez Socrate, c’est notamment parce que je veux me soucier de moi, que j’ai besoin de me connaître. Il n’est pas possible de s’occuper correctement du monde sans s’occuper de soi.
On dit toujours le “bon cavalier ménage sa monture ». Quand on souhaite prendre soin, par exemple, de notre famille ou du monde, notre monture, c’est nous. Si l’on n’est pas dans de bonnes conditions d’hygiène de vie, physique et mentale, on n’est pas à même de bien s’occuper des autres. J’ai eu envie de transmettre ça d’abord à mes enfants. Puis l’idée a évolué quand j’ai compris que ça pouvait aider les gens autour de moi.
consoGlobe.com – Quelles sont les barrières qui s’érigent face à l’écoute de nous-mêmes ?
Pierre Portevin – Certains chercheurs en psychologie évolutionniste montrent que notre cerveau n’est pas toujours à la hauteur de nos ambitions. Il est performant, mais est aussi victime de certains archaïsmes. Tant qu’on n’en prend pas conscience, on se fait piloter par ces parties plus archaïques. Dans celles-ci, certaines sont là pour nous alerter par rapport au danger, telles que l’isolation, le fait d’être rejeté. Or, l’un des symptômes du rejet, c’est la critique. Donc, quand on se sent critiqué par d’autres personnes, on a peur, car c’est le signe qu’on pourrait être rejeté. Conséquence : dès petit on apprend à internaliser la critique.
On a tous en nous un critique intérieur qui a son utilité dans l’existence, mais qui ne fait vraiment pas preuve de bienveillance. On peut constater ceci en mesurant la différence avec laquelle on se traite soi-même en cas de difficulté, et comment on prendra soin d’un ami. À celui-ci, on va dire “tu sais, on a tous des difficultés, des moments où on se sent abattu, et c’est normal… Je comprends ce qui arrive. L’important, maintenant, c’est de voir comment tu peux réagir au mieux. Que pourrais-tu faire ?”. Puis on va l’aider à trouver des idées, en favorisant le fait qu’elles viennent de lui, comme un parent bienveillant fait avec ses enfants.
Mon meilleur ami… c’est moi – éloge et mode d’emploi de l’amitié avec soi-même
Auto-sabotage, reproches, critiques… nous nous traitons souvent durement.
Une clé du bonheur consiste à remplacer cette relation néfaste par une autre, inspirée de celle que nous pratiquons avec nos amis.
Ce n’est pas un truc de Bisounours que d’être bienveillant avec les autres ! Dans la vie des entreprises, l’une des qualités essentielles pour la performance des équipes, c’est la bienveillance. Google a étudié ce sujet dans tous les sens : quelles sont les conditions pour qu’une équipe soit particulièrement performante ? La première d’entre elles, c’est la sécurité psychologique, ce qui requiert la bienveillance. Pour en faire preuve envers les autres, il faut l’être envers soi-même. Ainsi, il est important de prendre conscience du mode de fonctionnement de ce critique intérieur et sévère, pour pouvoir le freiner et le mettre à sa juste place, sans pour autant le rejeter.
consoGlobe.com – Pierre, comment définiriez-vous l’amitié avec soi-même ?
Pierre Portevin – Il faut d’abord définir l’amitié. J’ai fait une enquête pour le livre auprès de 400 personnes en leur demandant les qualités qu’ils reconnaissaient aux personnes qu’ils avaient choisies comme amis. Et la première de ces qualités est qu’un « ami m’accepte et m’apprécie tel que je suis”. La question qui se pose alors est : dans quelle mesure je la pratique envers moi-même, sans jugement ? L’amitié avec soi, c’est d’abord s’accepter tel qu’on est. Il ne s’agit pas de complaisance. Mais si je n’accepte pas ma situation telle qu’elle est, je ne suis pas en bonne condition pour y faire face. Je dois donc commencer par l’accepter.
Mais le mot acceptation est souvent mal compris. Accepter c’est comme signer un accusé de réception. Ce qui ne veut pas dire être d’accord avec ce qu’on a reçu. Ici, il s’agit de reconnaître une situation. Si je suis malade, je dois accepter la situation telle qu’elle est pour bien traiter la maladie. Je peux vouloir en sortir, mais au moins, je reconnais ce qui est. On a besoin de s’accepter tel qu’on est, c’est-à-dire imparfait. Et ce qui est rassurant, c’est qu’on l’est tous !
Une autre qualité de l’amitié est déterminante : un vrai ami aime passer du temps avec moi ! Dans quelle mesure j’apprécie de passer du temps avec moi-même ? Ce qui ne signifie pas être seul devant la télé ou fumer des pétards pour s’anesthésier. Être seul avec soi-même, c’est s’écouter, ressentir dans son corps ce qui se passe, l’accepter et l’apprécier. Un moyen d’être ami avec soi, c’est de passer du temps avec soi.
consoGlobe.com – Alors, justement, Pierre Portevin, comment passe-t-on du temps de qualité avec soi-même ?
Pierre Portevin – On parle beaucoup de pleine conscience, de mindfulness, c’est certainement l’une des manières, mais il n’y pas que ça. Se promener seul en forêt en est une autre. Moi je passe du temps à écrire dans un carnet personnel, pas pour être publié, mais pour être avec moi. C’est une pratique que je recommande, parce que l’écriture manuscrite est plus lente que la pensée et donc permet d’avoir plusieurs niveaux de pensée en même temps. Je pense, j’écris ce que je pense et, pendant que les lettres apparaissent sur la feuille, d’autres pensées peuvent naître.
consoGlobe.com – Pierre, vous parlez de compassion, d’auto-amitié : pouvez-vous nous en dire plus ?
Pierre Portevin – J’écris dans le livre que l’auto-compassion c’est l’énergie de l’amitié. La compassion est souvent mal comprise, connotée péjorativement et confondue avec l’empathie ou la pitié. L’empathie, c’est une capacité humaine qui permet de se faire une idée d’une souffrance d’émotion que quelqu’un peut avoir. Cette empathie peut devenir envahissante et nous faire perdre le sens de nous-même : on est tellement envahi par l’émotion de l’autre qu’on est perdu.
La compassion elle, s’appuie notamment sur l’empathie, mais va au-delà. Elle se compose de quatre éléments :
- la prise de conscience d’une souffrance chez quelqu’un,
- l’empathie, qui permet de se faire une idée, une sensation assez précise de cette souffrance et de ce que l’autre peut ressentir.
- Mais très vite arrive le désir de faire diminuer cette souffrance et de permettre à cette personne de ressentir plus de bien être.
- Enfin, il y a le passage à l’action pour que cette souffrance diminue.
L’empathie est donc un élément de la compassion, mais on ne peut s’y arrêter. C’est comme un médecin : il voit un patient souffrant, mais ne s’arrête pas à constater la douleur ; il identifie les soins à apporter, puis soigne.
L’auto-compassion, c’est la compassion pour soi-même. Elle fonctionne dans la même logique : prendre conscience d’une difficulté que l’on vit, s’en faire ainsi une idée claire, identifier une manière de corriger cela, et ensuite passer à l’action. Enfin, pour éviter toute confusion, l’amitié envers soi-même, ce n’est pas l’amour de soi. L’amour de soi, c’est plutôt l’amour de son image, comme Narcisse. Au contraire, quand on est ami avec soi-même, on n’a plus besoin de se soucier de son apparence vis-à-vis des autres. On peut être pleinement soi-même.
consoGlobe.com – Pourquoi un livre de développement personnel de plus : celui-ci manquait-il ?
Pierre Portevin – J’ai lu beaucoup de livres de développement personnel et souvent ils sont partiels, ils touchent à un sujet, mais il n’y a pas d’unité. L’amitié avec soi-même permet de faire de l’unité entre plusieurs sujets.
Je pense qu’il est bénéfique de s’appuyer sur un concept aussi simple, car tout le monde a des amis, des relations d’amitié. Donc chacun peut s’appuyer sur sa propre expérience, c’est un principe qui est facile à comprendre et à exploiter. Mais s’il faut trois minutes pour l’expliquer, il faut toute une vie pour le mettre en oeuvre.
consoGlobe.com – Que vais-je apprendre en 192 pages ? Je sais être ami avec mes amis, ne suffira-t-il pas que j’applique la même approche à moi-même ?
Pierre Portevin – De ce que je constate, dans ma vie, dans celle de mes amis et des gens qui viennent me consulter pour du coaching, l’un des problèmes majeurs les plus répandus est un déficit d’estime de soi ou de confiance en soi. Sous-jacent, réside un déficit d’amitié avec soi-même. Pour beaucoup, l’estime de soi s’établit en comparaison avec les autres. Pour pouvoir bien s’estimer, on a besoin de s’évaluer « au-dessus de la moyenne ». Mais c’est impossible ! Tout le monde ne peut pas mathématiquement être au-dessus de la moyenne. Alors on se considère mal, car en dessous de cette moyenne. Et c’est tout aussi impossible. Il faut donc sortir de ce mode d’évaluation.
Je vois beaucoup de gens qui ne savent pas être un bon ami pour eux-mêmes. Si je leur explique, ils le comprennent très vite, mais hélas, c’est comme pour les gens qui veulent perdre du poids ou arrêter de fumer : ce qu’ils ont besoin de faire est très simple à comprendre, mais la réalisation est complexe. Le livre est donc rempli d’exercices pratiques, certains très agréables, avec des rituels. Mais c’est comme la gym, on ne va pas en faire qu’une fois par an. L’amitié avec soi-même se cultive tous les jours.
consoGlobe.com – Pouvez-vous nous donner des exemples de méthodes dont vous parlez et qui sont propres à votre analyse ?
Pierre Portevin – Ces méthodes sont de plusieurs ordres. Certaines, je l’ai évoqué, consistent à d’abord apprendre à passer du temps avoir soi. J’aide à le faire d’une manière qui nous apporte du sens et du bien être. D’autres sont profondément structurantes. Sachant par exemple qu’un ami c’est quelqu’un qui me connaît bien, j’apporte des outils pour apporter de la clarté sur ce qui nous importe vraiment et ce à quoi on aspire.
Et enfin, une fois que je me sens mieux avec moi-même, que je m’apprécie, que j’élabore des projets, j’aide à mettre cette nouvelle version de moi-même au service des autres, au service du monde, à oser plus, avec énergie, bienveillance, compassion. Le livre offre un parcours qui passe de la compréhension à la mise en oeuvre.
Lire aussi