Suite de notre enquête sur la nécessaire mutation énergétique qui nous attend. Après avoir vu combien nous sommes encore dépendants du pétrole, du gaz et du charbon alors que la demande en énergie continue de croître, découvrons le premier pilier de la révolution énergétique.
Pour passer d’une économie centralisée ultra dépendante du pétrole à une société où l’énergie restera abondante mais propre, il faudra accomplir des progrès décisifs dans 5 domaines. Tout d’abord dans celui de l’habitat.
Le défi de l’habitat durable, autonome et producteur
Premier pilier, l’habitat durable producteur d’électricité
Le bâtiment est le 1er secteur énergivore avec 43 % de l’énergie utilisée en France. Selon un rapport de l’Anah, 75 % des logements actuels ont une note énergétique comprise entre D et G. Et il y a 2 millions de logements mal chauffés et 1 million jugés « inconfortables ». De plus, 60 % des logements français pourraient diminuer leurs dépenses énergétiques grâce à des solutions concrètes, simples et rentables. C’est aussi un enjeu pour les ménages car en 2012, le budget moyen pour l’énergie du logement en France est de plus de 150€ par mois à l’énergie, soit 32 % de plus qu’il y a 10 an.
Filières de production, le risque d’une erreur historique
400 millions de personnes en Inde n’ont pas accès à l’électricité ; près d’un quart de la population mondiale non plus. Dans les pays riches, on remet le nucléaire en question et on reste sous perfusion d’un pétrole qui se raréfie et se renchérit. Les énergies renouvelables sont notre planche de salut.
Mais comment produire de l’énergie propre dans le monde entier sans polluer, y compris à grande échelle ? Les Européens ont tout d’abord pensé à des projets immenses pour capter le soleil là où il est, en Espagne, en Italie ou en Afrique du Nord, comme avec le projet Désertec [1]. Mais cette approche d’unités de production par des unités géantes et centralisées fait fausse route. Elle correspond à une vision « verticale » et centralisée qui sera bientôt dépassée. L’avenir, et la sécurité énergétique et économique, sont dans des unités de production distribuées et réparties sur tout le territoire. Quelques unités géantes comme les éoliennes off-shore françaises ne suffiront jamais à produire assez pour soutenir nos économies modernes.
La tradition colbertiste et centralisatrice française considérée par les gouvernements successifs comme la seule manière de créer une vraie industrie éolienne ou solaire en France, risque fort de nous faire louper un virage historique. Ce virage, nous avons tous les atouts pour le prendre, mais c’est l’Allemagne qui l’a entamé la première. Il s’agit de convertir tous les bâtiments en unités de production énergétique. On sait faire. Le groupe Bouygues par exemple s’est bâti un immeuble passif, qui non seulement produit assez d’électricité pour ses propres besoins, mais en injecte dans le réseau électrique public.
Nous habiterons tous dans des centrales électriques
L’énergie positive pour l’immobilier est tout à fait possible : éolienne, pompe à chaleur, panneaux solaires sur les murs ou les toits, géothermie, isolation performante, … chaque habitation peut également recycler ses détritus, produire son énergie gratuitement et revendre ses surplus. Partout dans le monde des projets d’éco-quartiers ou de tours géantes et écologiques voient le jour.
Plusieurs constructeurs se sont déjà engagés dans la voie de la construction verte. Un exemple concret est visible au cœur de l’éco-quartier de Verrières le Buisson à 13 kilomètres de Paris, la maison Air et Lumière qui est une application du programme européen Model Home 2020. ([2]) Cette maison de 135 m2 offre les caractéristiques suivantes : un jeu de toitures à différentes pentes et orientations permet d’optimiser les apports du solaire, accès privilégié à la lumière naturelle (33 % de surface vitrée, puits de lumière dans les pièces d’eau, tuiles photovoltaïques, capteurs solaires, pompe à chaleur air-eau, ventilation hybride double flux avec renouvellement de l’air automatique en fonction des niveaux de CO2 et d’hygrométrie, ventilation par ouverture automatisé d’impostes et fenêtres de toit, récupération des eaux de pluie…
La tour Elithis de Dijon est un autre bon exemple d’architecture « durable » appliquée à une tour. Cette tour de 10 étages allie esthétique et confort, bonne intégration urbaine et performance énergétique et environnementale. Le but est de produire plus d’énergie que la tour n’en consomme. Pour proposer toutes ces qualités, c’est la conception globale d’un bâtiment à énergie positive qui a été pensée afin minimiser la consommation d’énergie et d’optimiser l’utilisation des énergies renouvelables. Les matériaux du bâtiment ont été sélectionnés pour leur faible impact sur l’environnement. Pour « l’extérieur et l’isolation du bâtiment on a retenu le bois recyclé, tandis que l’aluminium, très gourmand et néfaste à l’environnement, a été utilisé le moins possible« . A l’intérieur, les équipes Elithis se sont efforcées d’éliminer le gaspillage d’espace et on choisi de grandes baies vitrées pour baigner les bureaux de lumière naturelle. Pour profiter de l’énergie solaire (chaleur et lumière naturelle) sans ses inconvénients habituels (excès de chaleur, luminosité aveuglante) un « bouclier solaire» a été installé pour laisser passer la lumière naturelle tout en filtrant l’excès de chaleur et de lumière. Un dispositif breveté par Elithis permet d’optimiser et de récupérer l’énergie qui circule dans le bâtiment : l’énergie produite dans les bureaux par les ordinateurs, les photocopieurs, les ampoules, les personnes, etc. est récupérée puis réutilisée ailleurs dans la tour.[3]
Et les innovations architecturales se multiplient : ainsi la nouvelle éolienne pour bâtiment urbain de la société australienne Katru Eco-energy.[4] Même les particuliers vont pouvoir se doter de leur éolienne « personnelle » ajoutant une possibilité de plus au « mix » énergétique à leur disposition : solaire thermique, solaire photovoltaïque, géothermie, pompe à chaleur, techniques d’isolation, …
Ainsi, des dizaines de millions de bâtiments produiront leur propre énergie et en vendront le surplus excédentaires. En termes de sécurité, cela sera bien meilleur : aujourd’hui la défaillance d’un barrage hydroélectrique alpin ou d’une centrale nucléaire pèse tellement qu’il met en danger tout le réseau électrique global par effet de dominos. Prenons le scénario du pire : une attaque terroriste ou un tsunami de type Fukushima. Avec la production organiquement intégrée dans l’habitat dans toutes les maisons sur tout le territoire, un tel événement catastrophique aurait un impact fort limité.
Retrouver notre liberté par l’indépendance énergétique locale
Quand chacun habitera dans une centrale électrique, l’autonomie qui en découlera bénéficiera économiquement à chacun en particulier mais à tout le pays en général. Plus de dépendance absolue vis-à-vis du pétrole arabe ou du gaz russe, plus de chantage énergétique avec les biais diplomatiques associés, plus de facture énergétique qui dévore notre capacité d’investissement. « Plutôt de d’envoyer des milliards d’euros en Russie ou chez d’autres producteurs de ressources énergétiques, l’Allemagne va maintenant donner cet argent à ses ingénieurs spécialistes des technologies vertes, et ses fabricants locaux », se réjouit le ministre allemand de l’environnement. Cela vaut pour toute l’Europe mais pas uniquement. Partout dans le monde, des projets d’éco-quartiers ou, carrément, de villes nouvelles créées de toutes pièces apparaissent :
– A Abu Dhabi, l’architecte Norma Foster imagine une ville zéro carbone : c’est le projet Masdar. Le projet a du mal à sortir des sables mais voudrait être la première ville au monde qui pourrait se vanter d’être 0 carbone et 0 déchets. Cette cité de 6 millions de m² a été demandée par l’Abu Dhabi Future Energy Company qui abriterait son siège, ainsi qu’une université dévouée aux nouvelles idées concernant la production d’énergie.
– En Chine, on construit 400 ( !) villes nouvelles d’ici à 2020 pour faire face à l’urbanisation accélérée qui oblige à loger 300 millions de ruraux. Pékin va donc tester à Dongtan une nouvelle approche d’urbanisme pour compenser les ignobles concentrations de tours construites à la hâte dans toute la Chine. Une « cité verte » qui devra recycler l’énergie et l’eau et pourra accueillir 500 000 habitants en 2040.
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Suite > la rénovation énergétique de dizaines de millions de logements
[1] Et si le Sahara nous éclairait ? Le Sahara est la plus grande source d’énergie solaire de la planète. Le flux solaire moyen qui arrive sur le sol au Sahara est de 1000W/m² . Le but de ce projet entre ambition et démesure : fournir 50 % de l’énergie électrique mondiale d’ici 2050 avec un coût de seulement 1,1 milliard de dollars.
[2] Ce programme de recherche destiné à contribuer à la modélisation du confort de vie dans l’habitat de demain a débuté par la conception et réalisation de six bâtiments publics et privées à énergie positives. La deuxième phase de ce projet consiste à réaliser un test nature pendant un an avec l’occupation « normale » des bâtiments. Ouverte au professionnels et au grand public depuis le mois d’octobre 2011, la réalisation française baptisée « Maison Air et Lumière » accueillera ainsi dès le 1er septembre la famille de quatre personnes en charge de tester la pertinence des concepts développés et de commenter les contraintes et avantages d’un mode de vie durable.
[4] Katru Eco-Energy, une entreprise australienne, propose IMPLUX, une éolienne adaptée à la ville, qui peut être placée sur le toit des bâtiments et utiliser l’énergie du vent quelle que soit la direction dont il provient. IMPLUX espère implanter ses premiers prototypes dès juin 2013. Le prix d’une éolienne par bâtiment devrait être d’environ 10 000 dollars
Ce serait fantastique, génial en effet si chaque habitation pouvait produire sa propre énergie. Hélas, à nouveau on ne se pose pas la question: avec quelle énergie? Et je parle ici d’énergie primaire, c’est-à-dire l’énergie qu’on trouve dans la nature avant toute transformation. Pour prendre l’exemple d’une éolienne: avec quelle énergie va-t-on construire, transporter, installer, entretenir, réparer et recycler une éolienne? Pas avec du vent, mais bien avec du pétrole! Du pétrole en effet, sous différentes formes, matière première, carburant, combustible, est nécessaire pour tout appareil de captage des énergies « renouvelables ». Par conséquent, pour l’instant, tout semble parfait tant que le pétrole coule à flot. Mais qu’en sera-t-il dans 30-40 ans lorsque nous nous serons débarrassés du pétrole, de gré ou de force?
Il faut citer aussi l’association négaWatt – negawatt.org – qui publie « Changeons d’énergie » un petit ouvrage de 100 pages pour proposer une transition énergétique d’ici à 2050 respectant l’objectif de ne pas dépasser 2°C de réchauffement, sous réserve évidemment d’une volonté politique et d’une volonté populaire.
Votre (vos) article(s) sur la révolution énergétique porte un autre nom sous la plume de Jeremy RIFKIN, dans son livre récent: la troisième révolution industrielle. J’attends avec impatience vos prochains articles pour savoir quel est le 6ème pilier de cette révolution (J. RIFKIN parle de 5 piliers de la TRI.)
Hum en fait tous les liens entre crochets du texte le sont.
Les liens [3], [4] (page 1), [5] et [6] (page 2) pointent vers des fichiers locaux du type C:\… et ne sont pas des liens web. Sont également dans le même cas tous les numéros entre crochets de la zone de liens, en fin d’article. On dirait qu’une conversion s’est mal faite lors du passage au web de l’article Word et de ses notes de bas de page !
C’est corrigé. Merci de l’avoir signalé