La Loutre d’Europe (Lutra lutra) est un mammifère incroyable qui vit dans nos zones humides et qui, malgré sa taille, est encore peu connu du grand public comme étant une espèce faisant partie de notre patrimoine. Mais la Loutre a besoin d’un coup de patte pour garder sa place et gagner du terrain. Marie Masson s’y atèle et nous explique tout cela !
Rencontre avec Marie Masson, animatrice du PNA loutre, investie dans ses missions
Pour répondre au déclin généralisé des populations françaises de loutres, un nouveau Plan National d’Actions en faveur de cette espèce a été lancé pour 2019-2028. Son objectif général ? Consolider les noyaux de population existants et retrouver une population viable sur l’ensemble de l’Hexagone, en accompagnant leur retour « dans les meilleures conditions possibles de cohabitation avec les activités humaines ».
ConsoGlobe – Pour contextualiser, pouvez-vous nous donner les objectifs du nouveau Plan National d’Actions (PNA) en faveur de la loutre ?
Marie Masson – Le nouveau PNA en faveur de la Loutre d’Europe en France est un plan dit de « conservation », par rapport au précédent qui était dit de « restauration » ou « rétablissement ».
L’objectif majeur derrière ce plan est donc de permettre la conservation sur le long terme de l’espèce sur le territoire français, suite au rétablissement dans un état de conservation favorable, de l’essentiel des populations existantes.
C’est un objectif assez général qui implique en premier lieu le maintien des populations de loutres déjà existantes, ensuite le retour naturel de la Loutre sur son ancienne aire de répartition et tout ça dans les meilleures conditions possibles de cohabitation avec les activités humaines.
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ConsoGlobe – Le montage d’un PNA fait intervenir tous les acteurs concernés de près ou de loin par l’espèce en question, En quoi est-ce une clef de réussite d’un PNA ?
Marie Masson – En fait un PNA, c’est un outil qui n’a pas de portée contraignante, et qui repose essentiellement sur la bonne volonté des acteurs. Donc c’est important d’intégrer et d’associer dès le départ tous les acteurs dont les actions peuvent avoir des répercussions (positives ou négatives) sur l’espèce qu’on souhaite protéger, et/ou qui ont les leviers pour agir.
Pour ces acteurs, c’est l’occasion de s’exprimer sur les réalités de leur domaine et les difficultés auxquelles ils peuvent faire face. Chacun apporte son morceau de puzzle et ensuite, on trouve ensemble des solutions qui sont faisables sur le terrain.
Dans le cas de la Loutre d’Europe, non seulement les associations de protection de la nature sont impliquées, mais également les services de l’état, les collectivités territoriales, les fédérations des chasseurs et des pêcheurs, les gestionnaires d’espaces naturels, les services en charge des routes …
Qu’est-ce que la SFEPM ?
La SFEPM (ou Société Française pour l’Étude et la Protection des Mammifères) est une association loi 1901 qui a récemment fêté ses 40 ans. Sa philosophie est la conservation de toutes les espèces de mammifères sauvages et de leurs habitats, dans un monde où la cohabitation Homme-Mammifères est devenue inévitable.
Elle travaille à l’échelle nationale (DOM-COM compris) pour l’acquisition de connaissances sur les espèces, pour leur protection et pour l’information et la sensibilisation de tous, du grand public aux acteurs sociaux-professionnels.
ConsoGlobe – La Loutre est une espèce parapluie au même titre que le Grand Hamster d’Alsace par exemple, pourquoi est-il si important de protéger ces espèces ?
Marie Masson – Une espèce parapluie, c’est une espèce dont la protection assure la préservation d’autres espèces occupant les mêmes milieux. Bien souvent, et comme c’est le cas pour la Loutre, il s’agit d’espèces emblématiques et charismatiques qui bénéficient d’une représentation positive de la part du grand public.
Cela facilite la mobilisation en faveur de la protection de son habitat. La protection de ces espèces dites « parapluie » peut constituer un bon point de départ pour la préservation de la biodiversité, mais il faut garder à l’esprit que ces espèces font partie d’un « tout » écologique, et qu’en réalité il ne faudrait pas forcément en considérer une plus que d’autres.
Aujourd’hui on se félicite du retour de la Loutre, mais on commence à s’inquiéter du déclin de très nombreuses espèces considérées « communes » (ne citons que les abeilles !) qui démontre un grave problème environnemental sous-jacent…
ConsoGlobe – Dans les faits, où en serions-nous sur le sujet de la Loutre sans le milieu associatif en France ? Quel est le rôle du monde associatif pour la conservation des espèces en France, et en particulier de la loutre ?
Marie Masson – Les associations de protection de la nature jouent un rôle souvent primordial pour améliorer le sort des espèces animales et végétales dans le monde. Elles sont à l’origine d’actions concrètes, comme le comptage des espèces, la cartographie de leur présence et la mise en oeuvre de projets de sauvegarde.
Qu’ils soient salariés ou bénévoles, experts ou amateurs éclairés, ces naturalistes sont des passionnés de la vie qui nous entoure. S’ils étaient à l’origine de « simples » observateurs, avec l’évolution de notre société et ses répercussions sur l’environnement, ils sont de plus en plus amenés à jouer un rôle actif, voire militant.
Dans le cas de la Loutre, les associations qui s’intéressaient à ce mustélidé se sont regroupées pour partager leurs connaissances sur l’espèce, qu’ils ont présentées au Ministère de l’écologie pour plaider en faveur de la création d’un PNA.
Le Ministère a reconnu la compétence du milieu associatif en chargeant la SFEPM de rédiger et d’animer les deux Plans Nationaux d’Actions. Et au niveau régional, ce sont généralement des associations locales qui sont chargées de la déclinaison des plans.
ConsoGlobe – Va-t-il y avoir de nouvelles réintroductions de Loutre en France ? Où et comment ?
Marie Masson – Il y a eu une unique expérience de réintroduction à la fin des années 90 en Alsace, avec 6 individus provenant de NaturOparC (l’ex-Centre de Réintroduction des Cigognes et des Loutres d’Hunawihr). Suivie pendant des années, il semblerait que cette expérience n’ait pas donnée naissance à une population viable.
En France, dans le cadre du PNA, le choix a été fait de ne pas procéder à des réintroductions, contrairement à ce qui s’est fait pour d’autres carnivores. La raison est simple : l’espèce n’avait pas disparu de l’ensemble du territoire au moment de sa protection en 1981, et il restait encore des noyaux de population considérés suffisamment viables – ce qui n’était pas le cas pour l’Ours et le Lynx par exemple.
Les experts français ont donc estimé qu’un retour naturel était possible et, même si plus lent, donnerait de meilleurs résultats sur le long terme que des campagnes de réintroduction. Ce pari semble payer aujourd’hui car l’espèce a presque regagné la moitié de son territoire ! Ces programmes de réintroduction, s’ils sont indispensables dans certains cas pour la survie d’une espèce, ne peuvent pas se substituer à la protection des populations relictuelles sauvages et de leur habitat.