Réserve naturelle russe et centre d’études scientifiques, « Pleistocene Park » pour parc du Pléistocène, est situé à quelques kilomètres de la ville de Tcherski, dans les contrées les plus froides du monde, en Sibérie. Il s’étend sur environ 150 km2, parcourus par des chevaux sauvages, des bisons, des boeufs musqués, des yacks et des rennes. On parle même d’y introduire des mammouths…
Pleistocene Park : un « parc animalier » d’un genre nouveau
Le nom de Pleistocene Park vient de l’époque géologique pléistocène, qu’on appelle familièrement l’Âge de Glace, époque qui a duré plus de 2,5 millions d’années et qui s’est terminée il y a environ 12.000 ans.
Dans ces temps lointains, les vastes plaines qui s’étendaient de Vladivostok à l’Alaska étaient couvertes d’herbe et hébergeaient d’énormes troupeaux de grands herbivores (bisons, mammouths, rennes, chevaux) et les grands carnivores dont ils étaient les proies (loups sinistres, tigres à dents de sabre, léopards des neiges, carcajous…).
Or, il se trouve qu’un scientifique russe, Sergey Zimov, et son fils Nikita, s’attachent depuis la fin des années 1980, à reconstituer cet écosystème ancien.
Reconstituer l’écosystème de Pléistocène
Pourquoi vouloir retourner 12.000 ans en arrière ? Quand on pose cette question à Sergey Zimov, le directeur de la station scientifique de Tcherski et créateur du parc en 1996, il se lance dans de longues réflexions sur le passé lointain et le futur distant. Il faut, martèle-t-il, « retrouver les conditions qui ont précédées l’arrivée des Hommes sur la steppe« .
Si les vastes prairies d’herbe ont disparu, c’est que les animaux qui l’entretenaient ont également disparu. À cause du changement climatique à la fin de l’âge de glace, mais aussi à cause du plus grand prédateur de tous les temps : l’Homme.
Sans grands herbivores pour brouter l’herbe et piétiner la neige et sans grands carnivores pour contrôler la taille des troupeaux et les obliger à se déplacer, l’herbe a été remplacée petit à petit par une épaisse couche de mousse et par des petits arbres et arbustes. Ce qui donne la toundra qu’on connaît aujourd’hui.
La fonte du permafrost
Faut-il s’inquiéter de la disparition de l’herbe ? Après tout, c’est un phénomène naturel, n’est-ce pas ? Et les arbres absorbent le CO2 !
Dans un article paru en 2005 dans Science, Zimov explique pourquoi ce n’est pas une si bonne chose : « un écosystème basé sur l’herbe absorbe l’humidité du sol et est mangé par les herbivores, qui nourrissent le sol par leurs déjections. Les prédateurs les obligent à se déplacer fréquemment, ce qui permet à l’herbe de repousser et une faune diversifiée s’y développe. En revanche, dans la toundra mousseuse, l’humidité reste au sol et les feuilles de couleur sombre des arbres et arbustes absorbent la chaleur du soleil. À part les rennes et les élans, peu d’animaux peuvent en vivre. Résultat ? La biodiversité se réduit et le sol se dégèle petit à petit ».
Et quand le permafrost fondra, des bactéries emprisonnées dans la glace commenceront à dévorer la matière organique qui s’y trouve, dégageant de grandes quantités de CO2 et de méthane dans l’atmosphère.
Depuis 1996 donc, Sergey et son fils Nikita oeuvrent pour repeupler la steppe d’animaux susceptibles d’y vivre et de se reproduire : chevaux, boeufs musqués, rennes, yacks, bisons. Jusqu’ici il semblerait qu’ils aient visé juste : là où les animaux paissent, la température du sol reste à environ – 24 degrés. Ailleurs, elle peut monter jusqu’à – 5 degrés, trop chaud pour maintenir le permafrost en l’état.
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Et pourquoi pas des mammouths ?
Mais, d’après les chercheurs, ce qu’il faudrait vraiment, ce serait de pouvoir faire revenir les mammouths. Seuls ces énormes créatures sont capables de piétiner les arbres et ainsi de libérer le sol pour laisser pousser l’herbe.
Les mammouths n’existent plus, certes, mais un chercheur américain, George Church, spécialiste du séquençage génétique à l’Université de Harvard, pense pouvoir modifier suffisamment les gènes d’éléphants modernes pour obtenir de grands éléphants poilus capables de résister au froid de Sibérie d’ici peu(1).
Cependant, avant d’arriver à ce résultat étonnant, beaucoup d’eau va encore couler sous les ponts. Il ne suffit pas de modifier les gènes d’un éléphant d’Asie pour le doter des caractéristiques de son ancêtre préhistorique (reprogrammer les cellules de peau d’éléphants en cellules souches porteuses d’ADN de mammouth, animal plus résistant au froid : fourrure laineuse, couches de graisse isolantes, etc.), encore faut-il créer un embryon et le faire vivre. Il n’est pas question d’avoir des mères éléphants porteuses, puisque l’éléphant d’Asie est une espèce menacée et on ne peut pas prendre le risque de mettre leur vie en danger. Il faudrait donc des petits mammouths cultivés in vitro (dans un utérus artificiel) ! Cela parait totalement fou, mais l’équipe de Church est confiante.
Pour en savoir plus, voir le documentaire de Denis Sneguirev « Retour à l’âge de glace, l’hypothèse de Zimov » sur Arte.tv jusqu’au 25 janvier
Article mis à jour et republié