En février dernier, une petite association, baptisée Ernest, se lançait dans un projet ambitieux : celui d’inventer une nouvelle forme de pourboire, solidaire et engagé. Dix mois plus tard, le succès est au rendez-vous.
En 2014, les Français auraient pris pas moins de dix milliards de repas en dehors de leur domicile. Ce goût prononcé pour les sandwicheries, cafés et restaurants, l’association Ernest a choisi d’en faire profiter les plus démunis.
Avec son « pourmanger », Ernest lutte contre l’insécurité alimentaire
Ernest, c’est avant tout l’histoire d’une « bande d’amis », raconte la fondatrice Eva Jaurena, une dynamique brunette de 27 ans. Au départ, ils partagent surtout l’envie dévorante de travailler ensemble, sans projet particulier. Mais très vite, ils se découvrent un intérêt commun pour la question de l’insécurité alimentaire, une question qui les « entoure » et les « touche ». « Ce n’était pas simple de tenter de répondre à ce défi, mais même à petite échelle, on s’est dit qu’on pourrait « agir », se souvient la fondatrice d’Ernest.
Quelques mois plus tard, ces cerveaux bouillonnant d’ambition inventent un concept : celui du « pourmanger ». Il s’agit d’un pourboire solidaire collecté dans des restaurants partenaires puis reversé à des associations caritatives, spécialisées dans l’aide alimentaire. « C’est un peu le principe de la générosité embarquée, explique Eva Jaurena, avec un montant fixe qui est inclus dans le prix affiché, et choisi par le restaurateur ». « Il fallait que ce soit quelque chose de simple, justifie-t’elle. Quand les gens vont au restaurant ils doivent déjà choisir ce qu’ils vont manger, ou ce qu’ils vont boire, c’est déjà suffisamment compliqué… ».
Après Paris, Toulouse !
Pour l’heure, l’engagement des restaurateurs reste éphémère. Il ne dure que le temps d’une campagne, longue de quelques semaines. La première d’entre elles s’était déroulée à Paris, au début de l’année 2015. En seulement trois mois, et grâce au soutien de 17 restaurants et l’organisation de quelques événements (concerts, petits festivals, soirées), Ernest avait pu récolter 11.000 euros, soit plus que l’objectif fixé au départ, qui était de 8000 euros. « Le bilan était évidemment positif », se souvient Eva Jaurena. Suffisamment en tout cas pour lui donner l’envie de lancer avec son équipe une seconde campagne, à Toulouse cette fois-ci.
Le choix de la ville rose s’est très vite imposé à la fondatrice d’Ernest. « D’abord, parce que j’ai de la famille là-bas, avoue-t’elle, mais surtout, parce qu’on a tout de suite eu le sentiment que la convivialité du sud-ouest collait très bien avec notre projet ». « Et puis Toulouse, ajoute Eva Jaurena, c’est une ville où il y a énormément de restaurants ».
Forte de ce constat, l’équipe d’Ernest a vu grand : un objectif de collecte de 20.000 euros, et des partenariats avec pas moins de 39 restaurants. Pour choisir ces établissements, « le premier critère, ce sont des restaurateurs sympas, insiste Eva Jaurena. Après, ça va de la cantine de quartier au restaurant gastronomique, en passant par des caves à vin ».
Des restaurateurs engagés pour les plus démunis
Amélie Ariaux fait partie des premiers restaurateurs à s’être associés à Ernest dans le sud-ouest. Depuis trois ans, elle gère Les Coudes Sur La Table, une cantine intimiste située au coeur de Toulouse. Derrière les vitres embuées, s’y bousculent toute la journée des habitués du lieu, avides de veloutés au panais ou de jus ananas-carotte. Depuis quelques semaines, ces clients ont vu leur addition augmenter de dix centimes, le montant du « pourmanger » qui sera ensuite redistribué par Ernest.
Amélie se souvient de la première fois où l’association l’a contactée : « ils sont venus en septembre l’année dernière pour nous expliquer leur projet ». « Au départ, ils cherchaient surtout à sensibiliser les restaurateurs avant de mettre en place leur campagne », explique la jeune femme en chemise à carreaux et tablier de cuisine. Elle se rappelle avoir tout de suite été convaincue : « en fait, je ne voyais pas de raisons de refuser. Moi ça ne m’engage pas à grand-chose, si ce n’est à prendre parti, et assumer devant les clients, qu’on implique du coup dans le projet en même temps ». Amélie a surtout été séduite par l’aspect « hyper concret, hyper local » de la campagne. « L’avantage avec Ernest c’est que tu sais vraiment comment l’argent va être utilisé, et les besoins sont clairement identifiés », dit-elle pleine d’enthousiasme.
En trois mois, la restauratrice s’est fixée l’objectif de récolter 500 euros. Un objectif qu’elle pense atteindre sans trop de difficultés. Chaque jour, elle met de côté de huit à dix euros, et compte aussi reverser à Ernest une partie des bénéfices tirés de la vente de produits dérivés, comme ses tasses émaillées bleues à l’inscription « In food we trust ».
Cet argent, cumulé à celui récolté par les autres restaurants, sera ensuite reversé à trois associations caritatives toulousaines : Maillol, Entr’Act, et la Main Tendue. Toutes ont fait de l’aide alimentaire leur priorité.
Une aide bienvenue pour les associations caritatives
Pour Christian Soulié, fondateur et président de la Main Tendue, l’initiative d’Ernest tombait « à point nommé ». Depuis douze ans, lui et cinquantaine de bénévoles distribuent des repas aux sans domicile fixe.
Tout a commencé de manière artisanale. Christian Soulié déplorait que, « hormis pendant les périodes d’hiver, toutes les associations venant en aide aux sans-abris étaient fermées le dimanche ». « Ce jour-là, les gens ne mangeaient pas », soupire-t’il. Il décide alors, aidé de quelques amis, de préparer des repas dans sa cuisine pour ensuite les distribuer aux plus démunis. Mais très vite, il constate que la demande est importante. Les quantités préparées augmentent à vue d’oeil, jusqu’à atteindre 5000 repas par an.
L’association se dote alors d’une vraie cuisine, où les bénévoles mijotent de petits plats. Il y a quelques mois, la Main Tendue, qui gère également une épicerie solidaire à Toulouse depuis 2011, a dû « transférer cette cuisine d’un local à un autre ».
Un investissement conséquent, de l’ordre de 15.000 euros. « C’est au moment où on avait ces frais à gérer qu’Eva Jaurena m’a contacté pour me proposer de m’associer au projet d’Ernest, explique Christian Soulié. Alors évidemment, j’ai tout de suite accepté ». Le fondateur espère toucher de quoi rembourser une partie du prêt que l’association a dû effectuer pour reconstruire la cuisine. « Solliciter les mécènes, chercher des fonds, ça nous demande beaucoup de travail, beaucoup de recherche. C’est toujours bien d’avoir un partenaire de plus », se rassure Christian.
Le pourboire solidaire bientôt permanent ?
Une fois cette seconde campagne menée à bout, Eva Jaurena et son équipe espèrent installer le pourboire solidaire dans la durée. « Ces campagnes, pour nous, c’était un test, admet la fondatrice d’Ernest. Trois mois, c’est assez court, ça a permis de de pas effrayer les restaurateurs. Malgré tout, ils ont aussi eu le temps de s’approprier le projet, de se rassurer ». Certains d’entre eux lui ont d’ores et déjà annoncé qu’ils seraient prêts à se réengager, « parfois de manière permanente », conclut Eva Jaurena, la tête encore pleine de projets.