Serait-ce l’histoire de l’ONG qui verrait la paille dans l’oeil des multinationales, mais pas la poutre dans le sien ? Selon l’association Les Amis de la Terre, lorsque Pinocchio raconte des mensonges, son nez s’allonge. Et lorsque les entreprises nominées par elle au prix Pinocchio en racontent, c’est la facture climat qui s’allonge et qui crée un lourd impact sur la planète. Peut-être, mais sous couvert de dénoncer un greenwashing bien réel, le monde associatif n’en vient-il pas à abuser des mêmes raccourcis de communication en faisant du « corporate bashing », une dénonciation unilatérale du monde de l’entreprise ? Ou la campagne serait-elle réellement efficace ?
Le prix Pinnochio : dénonciation annuelle des hypocrites de l’environnement
Depuis plusieurs années, l’ONG environnementale Les Amis de la Terre fait élire par le public le prix Pinocchio du climat, pour dénoncer des entreprises dont les actes seraient en complet décalage avec leur discours « green ». Cette année, les votes viennent d’être ouverts pendant un mois, jusqu’au 2 décembre 2015. Le 3 décembre, une cérémonie de remise des prix sera organisée pour « récompenser » les heureux gagnants.
Et les nominés 2015 sont…
Trois catégories permettent de distinguer trois types de filouteries de la part des entreprises dénoncées par Les Amis de la Terre.
Greenwashing
Les grandes entreprises réalisent souvent des campagnes de communication éco-responsable qui cachent une réalité bien moins glorieuse. Ici, sont nominés EDF, Engie et Yara. Les deux premiers sont partenaires de la COP 21, tout en promouvant massivement les énergies fossiles et non renouvelables, comme le nucléaire ou le charbon. Yara est le leader mondial des engrais chimiques et chercherait selon l’ONG à se faire « éco-blanchir » auprès de l’ONU pour gagner les faveurs de l’opinion.
Lobbying
Derrière les fauteuils des assemblées, dans les couloirs des Commissions, on retrouve souvent des grosses entreprises qui font jouer leur poids sur l’économie pour faire valoir leurs intérêts privés auprès des élus, bien souvent au détriment de l’intérêt public Les grands vainqueurs à ce petit jeu selon Les Amis de la Terre seraient Total, Chevron et Sofiprotéol-Avril. Les deux premiers, plus connus, sont des géants pétroliers qui multiplient les projets d’exploitation de pétrole et de gaz de schiste. Le dernier est le géant des biocarburants à la française, qui bénéficie des subventions à l’agriculture de la Politique Agricole Commune. Devinez qui en est le patron ? Xavier Belin, le leader de la FNSEA, censé représenter l’ensemble du monde agricole…
Impacts locaux
C’est la malédiction des pays « riches » en matières premières : les multinationales arrivent dans le pays et récupèrent tout, au détriment de la population locale, de la paix sociale et de l’environnement. Qui en sont les champions ? Anglo-american qui exploite la plus grande mine de charbon à ciel ouvert du monde, en Colombie, BNP Paribas qui finance des projets pharaoniques de centrales à charbon ou Shell qui continue de nier le désastre écologique qu’a créé son exploitation de pétrole au Nigeria, où l’on fête le malheureux 20ème anniversaire de la mort du militant écologiste Ken Saro-Wiwa.
Qu’en pensent les entreprises visées ?
La démarche fait-elle réfléchir les entreprises visées ? Peu d’entreprises ont souhaité commenter leur nomination auprès de consoGlobe.com. Pas de réponse du côté d’EDF ni d’Engie. « Aucun commentaire à apporter » pour BNP Paribas.
Yara défend par contre ses pratiques : « Nous croyons qu’il est possible d’éliminer la faim grâce à des pratiques agricoles efficaces et à la nutrition des cultures. Yara dispose des produits, des solutions et des connaissances pour accroître et améliorer les cultures tout en réduisant les impacts négatifs de l’agriculture intensive ».
Derrière le corporate bashing, le plaidoyer des Amis de la Terre
Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes chez Les Amis de la Terre, nuance en réponse : « nous ne faisons pas cela pour dénoncer uniquement, il s’agit de réellement changer les choses et d’obtenir des résultats ». L’ONG assure travailler discrètement avec les entreprises pour les faire changer de pratique. Ces efforts selon elle seraient payants : après une dénonciation des trafics de bois illégaux, on ne retrouve plus aujourd’hui que du bois certifié dans les magasins d’ameublement ou de bricolage, indique Sylvain Angerand.
D’autre part, selon lui, les nominations au prix Pinocchio permettraient de faire avancer des entreprises à la traîne sur certaines actions. « BNP Paribas a été nominée car elle n’a annoncé aucun engagement sur le retrait de ses investissements dans les centrales à charbon, alors que ses consoeurs Société Générale et Crédit Agricole s’y sont engagées. La preuve que c’est possible pour les banques d’agir », nous explique-t-il.
Certaines entreprises s’engagent pour l’environnement de façon sérieuse, mais sont tout de même nominées : est-ce que cela ne saperait pas les efforts des entreprises, lui avons-nous demandé : « Il s’agit au contraire de les mettre face à leurs engagements et de les pousser à aller plus loin. On manie la carotte et le bâton pour reconnaître les efforts, mais il ne faut pas qu’elles s’arrêtent en chemin ».
Les entreprises disposent de toute façon, justifie Sylvain Angerand, d’un droit de réponse à toute fausse allégation. Elles sont tenues au courant à l’avance de leur nomination et il est rare qu’elles récusent les faits qui leur sont reprochés : « ce qui montre que tout ce que dénonce l’ONG est réel et connu par les entreprises ».