Vous trouvez que de moins en moins d’espèces d’oiseaux chantent en ce printemps ? C’est une réalité, et pourtant le constat n’est pas nouveau : la biologiste Rachel Carson dénonce déjà le Printemps Silencieux en 1962.
Printemps silencieux, la bombe anti-pesticides de Rachel Carson
En Europe, 600 millions d’oiseaux ont disparu en 40 ans ; la faute à l’agro-industrie et ses pesticides, qui provoque une disparition des insectes, mets préférés des oiseaux, et de leur habitat. On connaît ces chiffres effarants, mais en pleine époque des 30 Glorieuses, l’ouvrage de Rachel Carson fait l’effet d’une petite bombe aux États-Unis. Plus qu’une ode au chant des oiseaux, il préfigure le combat écologiste des années 60 et 70.
Une passionnée de vulgarisation scientifique
Rachel Carson (1907-1964) est peu connue en France, mais elle est une référence outre-Atlantique. Elle est biologiste marine, et adore expliquer son métier, la science et la nature au grand public ; elle le fait tant dans des émissions de radio que dans des ouvrages. En 1951, elle écrit déjà Cette mer qui nous entoure, qui sera vendu à des centaines de milliers d’exemplaires.
Mais c’est son ouvrage Printemps silencieux qui marquera un tournant dans l’histoire. Dès les années 1940, elle s’inquiète de l’utilisation des pesticides chimiques aux États-Unis. Elle étudie notamment de plus près le programme d’éradication des fourmis de feu à la DDT. Le résultat, c’est cet ouvrage, fruit de plus de 20 ans d’enquêtes sur l’utilisation des pesticides et le lien avec le vivant.
« À mesure qu’il progresse à son but avoué de conquête de la nature, l’homme laisse derrière lui un impressionnant sillage de destructions, affectant la terre où il habite, et les êtres qui partagent avec lui cette demeure. » C’est la première fois que le lien qui unit l’être humain à la nature est si bien décrit, d’une manière à la fois scientifique et poétique.
Plus qu’une simple parution scientifique, Printemps silencieux est en effet un livre remarquablement bien écrit, un appel à l’action politique, et un ouvrage très méticuleux. Elle décrit les chaînes de contamination des pesticides, jusque dans les oeufs des oiseaux, et dénonce les souffrances encourues par les écureuils, rouge-gorges, les truites rendues aveugles ou… les fermiers s’intoxiquant au DDT.
Ainsi Rachel Carson prévient déjà : « pour la première fois dans l’histoire du monde, tous les êtres humains sont en contact avec des produits toxiques, depuis leur conception jusqu’à la mort. » Le constat a 60 ans, et reste encore malheureusement d’actualité.
Rachel Carson, pionnière du mouvement écologiste
La publication de Printemps silencieux ne laisse pas de marbre les Américains. En pleine époque productiviste, on commencera à s’interroger alors sur les revers de la médaille. Le livre permet de lancer le débat, dans une société civile jusqu’alors ignorante, sur l’utilisation des pesticides. Son ouvrage est écoulé à 2 millions d’exemplaires. En 1963, un reportage télévisé du même nom rassemble 10 millions de téléspectateurs.
Rachel Carson contribue à lancer le mouvement écologiste des années 1960 et 70, et est l’une des pionnières de l’écoféminisme. John F. Kennedy, alors président, lance une investigation sur le DDT, qui conduira à son interdiction en 1972 : l’une des premières grandes victoires sur l’agro-industrie. Est également créée à la suite de ce mouvement, l’Agence américaine de protection de l’Environnement en 1970.
Son ouvrage lui vaudra des critiques vives de l’agro-industrie, qui la traite de « défenseur fanatique du culte de l’équilibre de la nature », de communiste ou de « femelle hystérique et émotive ». Les agro-industriels déposent une série de plaintes contre la biologiste et publient des brochures de désinformation. Pourtant, la rigueur scientifique la rend inattaquable, elle gagne ses procès et la communauté scientifique reconnaît ses arguments.
Dix-huit mois après la publication de cet ouvrage majeur, Rachel Carson décède d’un cancer du sein. Elle reçoit à titre posthume la médaille présidentielle de la liberté. En outre, un prix dédié aux défenseurs de la nature, créé en 1991, porte son nom.
La cinéaste française Marie-Monique Robin est l’une des bénéficiaires de ce prix ; elle fait partie de la lignée de Rachel Carson en dénonçant l’utilisation des pesticides dans ses livres et documentaires. Rachel Carson, l’une des premières lanceuses d’alerte de l’histoire, aurait encore du pain sur la planche de nos jours !
Illustration bannière : Une statue de Rachel Carson à Woods Hole – © Rosemarie Mosteller / Shutterstock