« La vie trouve toujours un chemin, » affirmait le mathématicien Ian Malcolm dans Jurassic Park, le premier roman de cette saga Michael Crichton rapidement transformée en films à succès. La dimension écologique n’est pas forcément ce qui nous vient en tête quand on repense à ces histoires, et pourtant : des manipulations génétiques, un cadre naturel au Costa-Rica modifié par l’humain, la question des espèces disparues au coeur du projet, tout nous incite à nous réfléchir à l’éthique scientifique.
Dans le jargon anglo-saxon, c’est ce que l’on appelle un éco-thriller, soit un roman à suspense écologique. Dans une niche particulière des fictions, et un peu moins connus du grand public, on trouve des romans policiers écologiques, qui héritent à la fois de certains codes issus de la science-fiction écologique, et des codes des romans policiers.
De la SF au roman policier écologique : « on peut soupçonner le majordome mais pas ses bégonias »
Les problématiques écologiques dans la fiction, et la littérature en particulier, ne sont pas nouvelles, mais habituellement associées à une dimension post-apocalyptique. Plus d’un siècle avant I am a Legend de Richard Matheson en 1954, Mary Shelley avait déjà abordé la question de l’homme seul dans un conte philosophique aux caractéristiques très proches de la science-fiction : The Last Man, en 1826. On peut également penser à Hothouse de Brian Aldiss en 1961, à Die Wand de Marlen Haushofer en 1963, ou des nouvelles de Philip K. Dick, particulièrement à « Do Androids Dream of Electric Sheep ? » en 1966, qui inspira le film Blade Runner de Ridley Scott. La science-fiction n’est pourtant pas le seul genre à se saisir de ces codes et réfléchir à l’écologie autrement.
Le thriller écologique, version polar
Le roman policier écologique (« green crime fiction ») voit progressivement le jour et même s’il est délicat de donner une date de naissance à ce sous-genre, on trouve des exemples de « crimes botaniques » au 19ème siècle(4). La plante devient souvent poison et instrument de meurtre, ce qui rappelle la formule de Katherine E. Bishop reprise en titre(5). Depuis cette époque, le roman policier écologique s’est diversifié et explore des voies bien différentes. Petite sélection pour vous donner des idées de lectures.
Quatre auteurs de romans policiers écologiques pour découvrir le genre
Pour cette première sélection, on repart du rôle des plantes dans la création du genre littéraire, et on observer leur utilisation dans un roman policier écologique plus récent.
Un classique britannique : les nouvelles de Miss Marple d’Agatha Christie
Côté britannique, la problématique écologique est déjà bien présente au XIXème siècle. Un exemple de cette conscience écologique, alliée à une conscience sociale aiguë, est un roman probablement peu connu en France : Adam Bede, le premier roman de George Eliot. Plus tard, Agatha Christie fait revivre la tradition des romans « herboristes, » en reprenant là où elle était la réflexion concernant les plantes et leur entretien.
Ses romans et nouvelles peuvent sembler datées, au sens où elles semblent naturaliser l’idée que la biodiversité est une affaire d’hommes, mais elles éclairent précisément la dimension genrée de ces questions(6)
On conseille :
- Five Little Pigs (1942), paru en France sous le titre Cinq Petits Cochons ;
- une nouvelle, « The Herb of Death » (1932), paru en France sous le titre « L’Herbe de Mort » dans le recueil Miss Marple au Club du Mardi en 1991.
Outre le roman Five Little Pigs (1942), mettant en scène Hercule Poirot, on vous conseille quelques nouvelles mettant en scène Miss Marple et notamment « The Herb of Death » (1932). Outre la dimension policière et genrée, on trouve dans ces deux oeuvres une réflexion ouverte sur la législation et le contrôle des plantes et des populations, ce qui n’est pas sans rappeler les débats sur les initiatives open-source, le contrôle des graines et des espèces de plantes.
Le roman noir américain écologique : Ross Macdonald
Le roman noir américain est un espace très genré, très codifié, et on y trouve parfois des pépites transformant le genre littéraire de manière inattendue. C’est ainsi que Ross Macdonald illustre parfaitement dans plusieurs romans un concept particulier, celui de violence écologique, défini par Brandon Absher pour décrire grâce à Heidegger et Lukács les conséquences de l’installation de mines à déplacement de sommet dans les Appalaches à la fin du XXème siècle[Absher, Brandon. « Toward a Concept of Ecological Violence: Martin Heidegger and Mountain Justice » dans Radical Philosophy Review, Volume 15 number 1 (2012): 89-101. DOI: 10.5840/radphilrev20121519[/source].
On conseille :
- The Underground Man (1971), publié en français sous le titre L’Homme clandestin chez Hachette en 1971 et réédité plusieurs fois, notamment dans la collection « Grands détectives » de 10/18 ;
- Sleeping Beauty (1973), publié en français sous le titre La Belle endormie chez Fayard en 1975 et également disponible chez 10/18.
Ces deux romans sont issus de la série dans lequel figure le détective privé Lew Archer. D’un point de vue du genre littéraire, Ross Macdonald se place complètement dans la continuité de ses pères – Raymond Chandler évidemment, ou encore Dashiell Hammett -, et se révèle particulièrement savoureux à lire.
Son génie consiste à explorer de manière singulière la convergence entre écologie et criminalité, avec le regard critique d’un auteur lui-même investi dans l’activisme environnemental. La dimension criminelle ici n’est pas portée par la plante : les romans mettent au contraire en avant l’impact humain et le processus de disparition. Une très belle réécriture de l’idéal pastoral américain.
Un roman policier français : Le Testament des abeilles de Natacha Calestrémé
Faut-il encore rappeler la disparition brutale de colonies d’abeilles dans le monde dues à la pollution ?
Ce roman français sorti aux Editions Albin Michel en 2011 mêle une histoire sordide de meurtres d’enfants à un curieux défenseur des abeilles auteur d’une prophétie intitulée Testament du Moine aux abeilles. Ce faisant, le roman est un clin d’oeil habile à bon nombre de thrillers utilisant l’idée de prophétie, mais remet en question de son côté l’idée de « catastrophe naturelle ».
Lire aussi : 6 gestes simples pour aider les abeilles
Un point fort ? L’interrogation très pertinente sur le processus de vie, l’équilibre naturel lié au chaos, et « l’ordre et la rigueur des monocultures » qu’aiment tant les humains. Un curieux mélange entre manifeste écologique et roman policier.
Un peu d’humour : Le phyto-analyste de Bertrand Busson
Réflexion écologique et humour peuvent se marier, et le polar est le genre parfait pour cela, héritier de traditions potaches à la San Antonio. Dans Le Phyto-analyste de Bertrand Busson, on retrouve Germain Tzaricot, passionné de végétaux au point qu’ils envahissent son appartement avant que les plantes ne soient menacées par une gelée qui s’attaque également aux hommes.
Difficile d’en dire beaucoup plus sans gâcher l’histoire, mais le roman entremêle deux enquêtes sur fond de second degré désarmant : celle de Germain, cherchant à comprendre les causes de la putréfaction tuant ses plantes, et la disparition de la chanteuse Rachel pour laquelle Germain apparaît comme un coupable idéal. Une renaissance humoristique du thriller botanique.
Le roman policier écologique, descendant des variantes du roman policier © Ilina Yuliia
- Walton, Samantha, et Jo Lindsay Walton. Introduction to Green Letters : Crime Fiction and Ecology. Green Letters
Studies in Ecocriticism. Volume 22, 2018 – Issue 1 : Crime Fiction and Ecology. https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14688417.2018.1484628 - Bishop, Katherine E. ‘When ’tis Night, Death is Green’ : Vegetal Time in Nineteenth-Century Econoir. Même journal.
- La journée mondiale des océans 2019 a d’ailleurs pour thématique « Océan et genre, » invitant à remettre en question ces notions.
- Walton, Samantha, et Jo Lindsay Walton. « Introduction to Green Letters : Crime Fiction and Ecology. » dans Green Letters – Studies in Ecocriticism. Volume 22, 2018 – Issue 1 : Crime Fiction and Ecology. https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14688417.2018.1484628
- Bishop, Katherine E. « ‘When ’tis Night, Death is Green’ : Vegetal Time in Nineteenth-Century Econoir. » Même journal.
- La journée mondiale de l’océan 2019 a d’ailleurs pour thématique « Océan et genre, » invitant à remettre en question l’interraction entre ces notions.