Poursuivons notre périple dans la nouvelle économie avec la découverte de la notion de « valeur partagée » (shared value) au travers d’exemples concrets d’entreprises qui se sont essayées à l’appliquer sur le terrain
La valeur partagée en action
Rappelons rapidement que la « shared value » est une notion qui veut concilier les objectifs de profit de l’entreprise à ses objectifs de responsabilité sociale. L’approche de valeur partagée repose sur le postulat que ce qui est bon pour les affaires est bon pour le bien commun et réciproquement.
Un climat de méfiance
«Les profits passent avant l’écologie» Voilà ce que pensent les Français depuis plusieurs années quand on leur demande s’ils croient à l’engagement des entreprises. Malgré des engagements marqués,une partie significative des Français continuent à penser qu’on ne peut se fier aux entreprises,ni à croire en leur sincérité.
RSE – Ces multinationales qui veulent sauver le monde :
Malgré tout, les entreprises bougent, poussées par le marché, la législation ou simplement par les convictions des homme et femmes qui y travaillent.
En Côte d’Ivoire, M. Porter, le théoricien qui a lancé la notion, cite un exemple qui permet de bien distinguer la notion de shared value de celle de celle de fair value. La fair value s’applique au commerce équitable (« fair trade« ) qui a pour objectif de financer un revenu plus élevé pour les agriculteurs/fermiers, pour une même quantité de récoltes.
L’ambition de la valeur partagée, elle, se focaliser plutôt sur les modes d’organisation de la production et sur l’implication des acteurs locaux (fournisseurs, institutions, …).
Il s’agit d’optimiser la valeur perçue (aussi bien par les agriculteurs par exemple que par les entreprises qui les sollicitent) grâce à l’augmentation de la qualité des récoltes, de leur durabilité et de leur rendement. En Côte d’Ivoire donc Porter affirme que le commerce équitable peut accroître le revenu des exploitants de 10 à 20 % tandis que des investissements de « shared value » peuvent les augmenter de plus de 300 %.
Toujours en Côte d’Ivoire, le groupe américain Mars s’est impliqué pendant 10 ans aux cotés des ONG locales et du gouvernement sur des programmes visant à enrayant la chute des rendements et la menace de pénurie en cacao, colonne vertébrale de l’économie ivoirienne…
Des filets de pêche transformés en dalle de moquette
NetWorks est un progamme inédit qui soutient l’objectif « Mission Zéro » d’Interface, consistant notamment à s’approvisionner en matériau 100 % recyclé pour fabriquer ses dalles de moquette. NetWorks, réalisé en étroite collaboration avec la ZSL (la Zoological Societey of London) et des ONG locales, a permis la mise en place d’une chaîne d’approvisionnement communautaire pour récupérer les filets de pêche usagés, abandonnés dans les zones côtières rurales du centre des Philippines, notamment sur la côte de Danajon, l’un des six récifs à double barrière de corail que compte la planète et l’archipel voisin de Bantayan.
Ainsi, grâce au programme NetWorks, les populations locales récupèrent les filets jetés à la mer qui ravagent l’écosystème marin pour les revendre dans le cadre d’une chaîne d’approvisionnement mondiale. Ces filets déchirés et destructeurs connaîtront une seconde vie sous forme de dalles de moquette, belles et durables. Fort du succès du programme aux Philippines, NetWorks sera étendu à la région du lac Ossa, au Cameroun, dès janvier 2015.
« Fruit d’un partenariat improbable, ce programme prouve qu’en unissant leurs efforts, entreprises, organisations de conservation de l’environnement et populations locales sont capables d’innover pour un changement positif et durable. Avec ce programme, nous avons voulu créer un projet qui bénéficie aux populations locales, à l’environnement et à l’entreprise. Pour Interface, Net-Works est la première étape vers une entreprise restauratrice, un objectif initialement établi par notre fondateur, Ray Anderson » explique Laure Rondeau, Responsable du développement durable d’Interface France.
Les grands groupes n’ont pas tardé à s’emparer peu à peu de cette notion de valeur partagée. Franck Riboud, le PDG de Danone avait ainsi déclaré en 2008 (1) :
Une entreprise n’existe et ne dure que parce qu’elle crée de la valeur pour la société dans son ensemble… La raison d’être d’une entreprise est son utilité sociale. C’est donc de servir la société, des hommes et des femmes, dans leur vie de tous les jours, à travers des produits, des services, du travail ou encore les dividendes qu’elle fournit.
Le Groupe Nestlé, quant à lui, hiérarchise la valeur partagée de la manière suivante dans le cadre d’une approche « responsable » :
Nestlé considère que sa Création de Valeur Partagée se décline en 4 « responsabilités fondamentales » : la satisfaction des attentes des consommateurs, la gestion durable des ressources en eau, le respect de l’environnement et la prise en compte de la société dans son ensemble (2).
La notion de « shared value » a donc été reprise par les grands groupes, avec un accent mis sur la responsabilité de ceux-ci en termes d’environnement, de conditions salariales, de santé, … encore faudra-t-il évaluer l’impact de ces nouveaux axes dans les années à venir.
Quelle utilité de la Shared Value pour faire évoluer notre modèle économique ?
Pour Porter, il y a trois façons pour les entreprises de créer de la valeur partagée :
- reconcevoir des marchés,
- redéfinir la productivité sur la chaîne de valeur
- créer des écosystèmes multidisciplinaires.
Prises ensemble elles ont un impact sur les coûts (améliorer la productivité des ressources) comme sur les revenus (créer de nouveaux marché). Un impact qui va bénéficier à tous.
General Electric s’est engagée dans une stratégie de Valeur partagée résolument orientée Environnement, appelée Ecomagination : nous la découvrir dans l’article sur l’approche OCEAN BLEU.
Les bonnes pratiques de valeur partagée par la Havard Business Review
Colitivo de Coca-Cola Brésil
La Harvard Business Review détaille l’initiative Coletivo lancée par Coca-Cola Brésil. Après une étude de 6 mois et l’élaboration d’un projet faisant collaborer l’entreprise avec les ONG locales, le projet a pour ambition d’aider des jeunes en difficulté grâce à des programmes de formation axés sur la vente au détail et l’entrepreneuriat. Ces programmes prévoient de faire travailler ces jeunes au sein d’un distributeur de Coca-Cola en les faisant se pencher sur des améliorations à apporter à la gestion des stocks, les promotions, le merchandising …
En mesurant avec rigueur l’augmentation des ventes découlant de cette démarche, Coca-Cola Brésil réussit à convaincre sa maison-mère de lancer les premières expériences dès 2009. Quatre indicateurs clés ont été suivis :
- nombre de jeunes ayant par la suite obtenu un emploi
- progrès réalisés par les stagiaires dans l’estime de soi (sur la base d’interviews par des consultants)
- accroissement des ventes réalisées
- amélioration de la notoriété de la marque dans les communautés ciblées…
Le projet a l’action a été piloté avec le même professionnalisme que n’importe quel autre projet d’investissement de Coca-Cola. Le tout avec un résultat satisfaisant puisque ces formations ont été étendues à plus de 150 communautés aux revenus modestes à travers tout le Brésil. Au final, plus de 50 000 jeunes ont reçu une formation grâce à Coletivo et 30 % d’entre eux ont ensuite décroché leur premier job chez Coca-Cola. Coca a réussi à démontré que cette implication a aussi des résultats positifs sur ses ventes et que l’initiative a été en à peine 2 ans.
Le projet Arogya Parivar de Novartis
Le projet Arogya Parivar (qui signifie « famille en bonne santé » en hindi) de Novartis a pour but d’approvisionner en médicaments de première nécessité les millions d’indiens les plus pauvres de l’Inde rurale. Bref d’apporter des médicaments à ceux qui n’ont pas accès aux soins. Novartis réduisit à quelques roupies le prix des médicaments dans 11 domaines pathologiques différents.
Mais le prix n’a pas été le seul facteur du succès de cette initiative : la capacité à distribuer efficacement les médicaments auprès des populations ciblées a aussi été déterminante. Des partenariats ont d’ailleurs été noués en ce sens avec des distributeurs locaux pour toucher efficacement les populations