Ces dernières semaines, la pression n’a cessé de s’accroître sur les utilisateurs des jets privés dont les vols sont traqués sur les réseaux sociaux, à l’instar de Bernard Arnault, patron de LVMH dont le bilan carbone est dénoncé par le compte Instagram @laviondebernard. De quoi prendre conscience de l’impact de ce type de déplacement aérien, alors que l’été a plus que jamais été marqué par les épisodes caniculaires, une sécheresse accrue et de nombreux feux de forêt.
Les avions privés en moyenne 10 fois plus polluants que les avions commerciaux
Comme le rapporte un rapport détaillé publié en 2021 par l’ONG Transport et Environment, les vols en jets privés s’avèrent « 5 à 14 fois plus polluants que les avions commerciaux (par passager) et 50 fois plus polluants que les trains ». Ainsi, en seulement une heure de trajet, un jet privé serait en capacité d’émettre deux tonnes de CO2 (en fonction de sa taille et de son poids). À titre de comparaison, un Français émettrait en moyenne 10 tonnes de CO2 sur toute une année.
Le 2 juin dernier, le compte Instagram @laviondebernard rendait ainsi public le bilan carbone du jet privé de Bernard Arnault : 176 tonnes de CO2… juste pour le mois de mai 2022. Un bilan carbone qui serait à peu près équivalent à celui d’un Français… sur 17 années.
Lire aussi : Jet privé de Bernard Arnault : un bilan carbone faramineux, mais il y a pire
Face à un tel constat, nul ne peut nier l’impact des vols en avions privés en termes de pollution, d’autant plus lorsque l’on sait que seulement 1 % des personnes dans le monde seraient à l’origine de la moitié des émissions mondiales de l’aviation. En outre, la même étude de l’ONG Transport et Environment pointe du doigt une autre problématique : la circulation dans les airs de jets privés souvent vides, ou ne transportant que très peu de passagers.
De plus, ces avions privés ne sont la plupart du temps utilisés que sur de courtes distances : moins de 500 kilomètres. Un constat qui ne devrait pas aller en s’arrangeant. Toujours selon cette même étude, les émissions de CO2 causées par les jets privés ont augmenté de 31 % entre 2005 et 2019, là où celles des vols commerciaux européens ont augmenté de 25 %. « Si cette tendance continue, les émissions des vols privés en 2050 auront doublé par rapport aux données de 2010 », estiment ainsi les auteurs de l’étude.
Une tendance que la crise sanitaire liée au Covid-19 a favorisée, en poussant de nouveaux clients à opter pour les vols privés plutôt que commerciaux. L’étude estime ainsi que d’ici 2030, le secteur des jets privés pourrait créer encore plus d’engouement.
Les vols en jets privés bientôt régulés par le gouvernement ?
De quoi faire enfler la polémique sur les réseaux sociaux et pousser la classe politique à s’exprimer à ce sujet. Si l’ONG Transport et Environment préconise une taxe sur les billets et le carburant des jets privés, afin de « tenir compte de leur impact disproportionné sur le climat », Clément Beaune, ministre délégué aux Transports, assurait récemment dans les colonnes du Parisien vouloir réguler les vols en jet privé. Un dossier auquel il souhaite s’atteler dès la rentrée des ministres, dans le cadre du « plan sobriété » préparé par le gouvernement.
Pour Julien Bayou, coprésident du groupe écologiste à l’Assemblée, les avions privés doivent tout simplement être interdits. Dans les colonnes de Libération, le secrétaire national des Verts dit vouloir déposer à l’automne une proposition de loi pour clouer au sol les jets privés. Des avions personnels devenus symboles d’une justice sociale à deux vitesses. En effet, comment demander à tout un chacun de tendre vers plus de sobriété, lorsque l’État lui-même emploie ce type de vols pour ses déplacements ?
Interdire les jets privés va-t-il vraiment « refroidir la planète ? »
En réalité, la pollution des jets privés cache une réalité plus complexe. S’il ne s’agit pas de nier l’impact de ce type de déplacement sur le climat, à l’échelle mondiale, les vols en avions personnels ne représenteraient que 0,2 % des émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit donc d’une petite part, qui bien que très polluante, n’est de loin pas la plus consommatrice en matière de carburants aériens.
Ainsi, selon une étude parue en 2020, les jets privés sont à l’origine d’une consommation de carburants pour avion (en majorité du kérosène) de 4 %, contre 71 % pour les vols commerciaux. Le reste étant utilisé à 17 % par le fret et 8 % par l’aviation militaire. Et contrairement aux vols commerciaux, établir avec précision l’impact environnemental de ce type d’aviation est plus difficile, puisqu’il faut tenir compte des caractéristiques de l’appareil, de la fréquence comme de la durée des vols et du nombre exact de passagers à bord.
En outre, si les vols d’État et évacuations sanitaires concerneraient 10 % des déplacements en jet privé, 80 % seraient dus à des missions professionnelles menées par des dirigeants, ingénieurs, techniciens, ou commerciaux, rapporte l’organisation européenne de l’aviation d’affaires (EBAA). Une question se pose alors : si la restriction, voire l’interdiction des vols en jet privé est adoptée, faudra-t-il l’étendre à l’ensemble des déplacements, même ceux à but professionnel ? « Ce sont des transports commerciaux, c’est créateur d’emplois, donc il ne s’agit pas de les interdire », défendait ainsi à ce sujet Olivier Véran, le 23 août au micro de France Inter.
De plus, « l’usage individuel, privé, du jet privé est une toute petite partie du jet, qui est lui-même une toute petite partie de l’usage de l’avion, qui représente une toute petite partie des émissions de CO2 », arguait le porte-parole du gouvernement. En effet, les émissions de gaz à effet de serre générées par le transport aérien en France se sont élevées à 10,3 millions de tonnes en 2020. Le problème est donc bien plus global. « Ce n’est pas l’interdiction des jets privés qui va tout d’un coup refroidir la planète », jugeait à ce propos Olivier Véran, estimant toutefois que « les symboles sont importants » et qu’une concertation européenne peut faire sens.
S’il est clair que l’aviation privée doit, tout comme les autres secteurs, faire des efforts à l’heure où chaque citoyen est appelé à le faire ; pourquoi pointer du doigt une tranche d’usagers en particulier, alors que celle des voyageurs – bien plus fréquents – sur les vols commerciaux ne l’est pas tout autant ?
Ne faudrait-il mieux pas envisager, comme le préconise l’ONG Transport et Environment, une taxe sur les billets et le carburant des jets privés ? Une taxe alors adaptée au poids de l’avion et à la distance parcourue, d’autant plus judicieuse qu’en France, « le taux d’imposition du carburant des jets privés est 35 à 40 % inférieur à celui de l’essence, ce qui procure un avantage fiscal aux personnes aisées par rapport à celles voyageant en voiture ou en train », rapporte l’ONG.
Transport et Environment estime ainsi que la mise en place d’une taxe sur le kérosène, proportionnelle aux distances parcourues et applicables sur les vols au départ de l’UE et du Royaume-Uni, permettrait de rapporter 325 millions d’euros. Autant d’argent à réinvestir dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Reste que le symbole des jets privés demeure puissant, d’autant plus que la loi Climat et résilience prévoit l’interdiction des trajets en avion commercial au citoyen lambda, lorsqu’une alternative en train permet d’effectuer le même trajet en moins de deux heures et demie. Une loi qui, dans les faits, ne change toutefois pratiquement rien, puisqu’elle n’interdit pas les lignes aériennes (même à moins de 2h30 de train) si celles-ci affichent un taux de correspondance supérieur à 50 %… Mais en ces temps de crise énergétique, le sujet du transport aérien, qu’il soit commercial ou privé, cristallise d’autant plus qu’il demeure l’apanage d’une minorité de personnes parmi les plus aisées. Ainsi, seulement 10 % de la population mondiale prend l’avion chaque année.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Doit-on réguler et/ou taxer les vols en jet privé ou tout simplement les interdire ? Nous vous laissons la parole dans notre sondage hebdomadaire.
Jets privés : une heure de vol émet autant de CO₂ qu’une année de vie ‘normale’