Le Livre Noir des cantines scolaires – Sandra Franrenet – Une assiette sous haute surveillance ?
Pas bon, et pourtant… Si la qualité et la saveur des mets n’est pas forcément au rendez-vous, l’équilibre nutritionnel de l’assiette semble au moins garanti : les cantines suivent toutes les objectifs du PNNS (Programme national nutrition santé).
Cinq composantes sont préconisées chaque jour sur le plateau :
- une entrée
- un plat principal
- une garniture
- un produit laitier
- un dessert
Cette recommandation, facultative, vise à permettre aux élèves de manger à leur faim – s’ils n’aiment pas le fromage, ils se rabattront sur le dessert !
Les menus sont obligatoirement calculés et vérifiés par des diététiciens sur vingt jours, pendant lesquels les enfants doivent se voir proposer au moins dix fois des crudités, dix fois des féculents, dix fois des légumes cuits, huit fois de la viande ou du poisson… Mais pas plus de quatre fois des plats dépassant 15 % de matières grasses.
Vu comme ça… c’est souvent mieux qu’à la maison, où faute de temps, certains parents proposent aussi souvent des plats tout prêts, fabriqués on ne sait où avec on ne sait quoi, et sans vérifier l’équilibre sur la semaine ! Mais attention, « toute préparation comprenant au moins 70 % de viande » est classé comme telle, idem que le « poisson » du moment qu’il contient « deux fois plus de protéines que de matières grasses »… Revoilà l’industrie !
Quant aux légumes, les frites peuvent passer pour des légumes verts… Si elles sont associées à ces derniers et représentent moins de 55 % de l’assiette : celle-ci sera alors comptabilisée comme « légumes » et non pas « féculents ».
Fromage ET dessert ?
En outre, les recommandations du PNNS sont contestées, accusées de favoriser certains lobbys, notamment ceux des producteurs de lait ou de viande, et de préconiser des quantités excessives de ces aliments.
Selon le rapport de Greenpeace publié en mai dernier, « un menu classique, suivant les recommandations officielles, ‘couvrirait près de 600 % des besoins en protéines quotidiens pour un petit garçon de six ans, près de 370 % des besoins pour un garçon de onze ans’ : c’est trop ! » D’autant que les menus à choix multiples, associés au self-service qui est souvent de rigueur dès l’entrée au collège, laissent les enfants libres de se bourrer de friands au fromage et de crèmes dessert, en raison de choix mal conçus et « non dirigés” : crudités ou charcuterie en entrée, alors qu’il vaudrait mieux proposer le même jour deux types de crudités ; frites ou haricots verts ; fruit ou gâteau…
Deux enquêtes de l’UFC-Que Choisir l’ont d’ailleurs récemment démontré, avec des conclusions sans appel : « Dans une très grande majorité des menus, les aliments de bonne valeur nutritionnelle sont proposés au choix avec des aliments de moindre qualité. Parfois même, les autres aliments proposés sont ceux pour lesquels la réglementation demande de limiter la consommation, du fait de teneurs élevées en gras, en sel ou en sucre »(1).
Mais alors… on les laisse à la cantine ?
« On est en train d’essayer de s’organiser pour sortir nos enfants de la cantine et les prendre tour à tour à la maison, entre plusieurs mamans, raconte Anne Renaudie. Mais ce n’est pas simple, d’autant que les enfants ont une pause de deux heures : il faut arriver à se libérer sur cette grande plage horaire ! Il y a aussi des solutions à l’anglo-saxonne, où chacun amènerait sa lunch box le matin… Mais en France, c’est interdit, pour des raisons d’hygiène soi-disant, mais surtout d’idéologie : la réponse politique, c’est de soutenir que ça rompt l’égalité entre enfants »…
Certains parents vont jusqu’à inventer des allergies alimentaires à leur enfant, pour pouvoir mettre en place un PAI (Projet d’Accueil Individualisé) qui autorise l’enfant à amener son repas ! Pourtant, d’autres solutions moins jusqu’au-boutistes existent.
« Il faut aller voir ce qui se passe dans les cantines de vos enfants, demander à aller les visiter, à aller y manger ! Chacun a un rôle à jouer et les parents peuvent agir, conseille Sandra Franrenet. L’idée, ce n’est pas forcément de faire sortir les enfants de la cantine, mais de faire évoluer les cantines. C’est ce que nous essayons de faire avec notre collectif de parents, et il y a de plus en plus de collectifs comme le nôtre, partout en France ».
Et si on se rebellait ?
Ils peuvent notamment inciter les cantines à s’engager dans le label Ecocert En cuisine, créé en 2013 « pour une restauration collective plus bio, plus locale, plus saine, plus durable », et qui se décline en trois niveaux : « engagé », « concerné », « exemplaire ».
Ou encore à entrer dans la démarche Mon Restau responsable, lancée en juin 2016 sous la double houlette de la Fondation Nicolas-Hulot et de Restau’co pour aider les restaurants collectifs qui souhaitent proposer une cuisine saine, de qualité et respectueuse de l’environnement.
Quant à l’association Un Plus Bio, premier réseau national des cantines bio, elle organise les Victoires des cantines rebelles, et édite un guide des cantines bio à l’intention des parents, à télécharger gratuitement : il explique notamment comment organiser une action pour faire changer la cantine, concrètement, dans l’école de ses enfants.
Et l’exemple de Mouans-Sartoux (06), petite commune où le président d’Un plus Bio, Gilles Pérole, est adjoint à l’éducation, est encourageant : dans les trois écoles, chacune avec sa cuisine intégrée, on est passé de 20 à 100 % de bio en l’espace de quatre ans, dont 70 % d’alimentation locale… Tout en générant, non un surcoût, mais une baisse de prix !
« Cela a été possible en effectuant un gros travail sur le gaspillage alimentaire », explique Gilles Pérole. Exemple : la pomme. Au lieu d’en donner une à chaque enfant, alors que la plupart ne la mangent pas entière, la commune achète moins de pommes… et les coupent en quartiers : chaque enfant prend la quantité qu’il souhaite, et on ne jette plus que les trognons ! La ville a aussi créé une régie municipale agricole : 85 % des légumes consommés à la cantine sont désormais cultivés par le maraîcher municipal.
La preuve qu’il est possible de manger pas cher… sans passer par la case industrie et surgelés, et sans renoncer à se régaler !
Manger « équilibré » avec des aliments déséquilibrés: une gageure !
Que signifie aujourd’hui manger « équilibré » pour la plupart des gens qui n’ont aucune notion d’équilibre alimentaire ? Que signifie manger équilibré quand la plupart des aliments de base sont eux-mêmes déséquilibrés, c’est à dire dépourvus de nutriments essentiels (protéines, vitamines, minéraux, acides gras essentiels, oméga-3 surtout, dépourvus de fibres et, en contrepartie, trop riches en sucres rapides, gras-trans, oméga-6 mais encore en pesticides, perturbateurs endocriniens, additifs ou perturbateurs du microbiote ?
(extrait d’un article du mensuel « biocontact » n° 292 de juillet-août 2018)