Entre nouveaux produits aux frontières de la tromperie et nouvelles règles pour fabriquer les camemberts, Lactalis ne va pas se faire que des amis chez les amateurs de bons fromages.
Un ersatz de Roquefort sous la marque Société
Vous aimez le fromage ? Quoi de plus normal quand on est en France, la patrie des fromages ? Mais alors que tout est de plus en plus produit de façon industrielle, les appellations ont bien du mal à survivre face aux assauts des géants et de leurs usines. Les AOP, Appellations d’origine protégée, y survivront-elles ?
Rien n’est moins sûr, notamment face aux assauts du géant du lait Lactalis.
En effet, depuis début avril, cette société commercialise de nouveaux fromages aux noms évocateurs et séduisants. Vous prendrez bien un peu de Bleu de brebis ? Un fromage vendu sous la marque Société(1).
Et surtout, aux yeux des protecteurs de l’AOP Roquefort, un ersatz trompeur, qui plus est, sous la marque « Société », qui fait immanquablement penser au Roquefort traditionnel. Mais suivant un cahier des charges très différent et utilisant un lait pas nécessairement local, tout comme la production.
Une fraude manifeste selon José Bové
Historiquement parlant, le Roquefort est le premier fromage à avoir obtenu une AOP, et ce, dès 1925. Et qui dit AOP dit règles de fabrication strictes. Or, si le nom et l’emballage du « Bleu de brebis Société » sont quasiment identiques à ceux du Roquefort Société, la comparaison s’arrête là.
La CFDT de Roquefort a décidé de s’y attaquer, rejointe par le député européen et ancien éleveur José Bové. Peut-on parler de fraude manifeste ? Pour eux, non seulement les consommateurs sont trompés par rapport à l’AOP Roquefort, mais en plus les producteurs sont eux aussi victimes de ce produit, avec une rémunération des agriculteurs bien inférieure à celle du Roquefort pour ce Bleu de brebis. L’institut national des AOP pourrait se saisir du dossier et José Bové n’exclut pas un recours devant la Cour européenne de justice.
Roquefort : Lactalis m’a tué ! Après le camembert, l’industriel s’attaque au Roi des fromages. Le nouveau produit commercialisé est une attaque en règle de l’AOP pic.twitter.com/Y4AVh9w1MZ
— José Bové (@josebove) 9 avril 2019
Si la CFDT estime que ce Bleu de brebis Société vise à « cannibaliser » le Roquefort, à se servir de sa notoriété et tromper les consommateurs, la direction de Lactalis se défend en expliquant que ce nouveau fromage avait été créé pour compenser l’érosion des ventes de Roquefort, passées de 5 millions de tours en 2014 à 3,3 millions en 2018.
Par ailleurs, toujours selon Lactalis, les consommateurs voudraient un fromage moins salé et moins fort…
Un nivellement par le bas de l’AOP Camembert
Pendant ce temps, sur un autre front, la guerre du camembert se poursuit. Une nouvelle Appellation d’Origine Contrôlée autorisant l’usage du lait pasteurisé pour le produire, devrait voir le jour en 2021(2).
La bataille de Normandie ne fait que commencer… Et ici aussi, le géant Lactalis se trouve en première ligne, son camembert pasteurisé Président pouvant alors côtoyer en magasins les fromages issus de méthodes traditionnelles et ceux au lait cru.
Un nivellement vers le bas ? Sans aucun doute, d’autant plus que les prix de revient et de vente n’ont absolument rien à voir.
Il faut toujours distinguer deux types de camembert. D’abord celui « de Normandie » issu de productions locales, avec un lait 100 % cru provenant d’un troupeau contenant au moins 50 % de vaches élevées dans la région. Ensuite, celui « fabriqué en Normandie », qui doit juste être produit en Normandie.
Mais faire entrer le loup dans la bergerie et permettre à Lactalis de prétendre que ses camemberts sont de Normandie, c’est non seulement créer une véritable distorsion de concurrence au sein de la filière, à l’avantage des grands industriels, mais aussi transformer le vrai camembert en un produit de luxe.
Illustration bannière : Assortiment de produits Lactalis – © BalkansCat / Shutterstock
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