Le 20 novembre marque l’anniversaire de l’adoption par l’ONU de la Convention internationale des droits de l’enfant : une occasion de rappeler qu’ « aucun enfant ne devrait grandir seul ». Pourtant rien qu’en France, des dizaines de milliers d’enfants sont en détresse (300.000 sont suivis par l’Aide Sociale à l’Enfance dont près de la moitié sont placés), vivant sans soutien parental ou dans un contexte nocif et parfois même dangereux…
SOS Villages d’Enfants est une association internationale, apolitique et non-confessionnelle, fondée en Autriche en 1949 pour prendre en charge les orphelins de guerre sans briser les fratries. Aujourd’hui présente dans 135 pays et territoires, avec 571 villages, elle poursuit sa mission de « prise en charge des enfants sans soutien parental ou en risque de le perdre ». L’association a aussi inscrit dans ses priorités le renforcement de la famille, à l’aide de programmes de prévention de l’abandon, en conformité avec les lignes directrices de l’ONU relatives à la protection de remplacement pour les enfants (novembre 2009). L’ONG a d’ailleurs un statut consultatif au sein de l’ONU.
En France, elle accueille près de 1.000 enfants et jeunes adultes dans 13 villages et trois établissements associés… et inaugurera le 15 décembre prochain, son 14e village en Charente Maritime.
SOS Villages d’enfants – Qui sont les « mamans SOS » ?
Aujourd’hui, on ne les appelle plus « mères SOS », mais « éducatrices familiales ». Du moins, dans les textes – politique de maintien du lien avec les parents oblige. Il y a trente ans, la majorité des enfants placés ne voyaient jamais leurs parents naturels, ces derniers étaient morts ou déchus de leurs droits.
Désormais, la proportion s’est inversée : la plus grande partie des enfants qui vivent dans ces villages au concept unique voient encore leur père, ou leur mère, ou les deux, qui bénéficient d’un droit de visite ou les accueillent pour le week-end, les vacances… souvent dans l’attente d’un jugement qui les autorise à les reprendre avec eux.
Dans les faits, cela n’empêche pas beaucoup de petits, qui vivent dans les villages depuis toujours ou presque, d’appeler celle qui s’occupe d’eux au quotidien « maman ». D’autres lui avouent, au bout de quelques mois de vie commune, qu’elle est devenue leur « deuxième maman ».
Et ces « mamans » là font un travail remarquable, pas seulement en France, mais dans le monde entier.
Témoignage : Thérèse Gardères, « maman SOS » pendant 36 ans…
LE SOS Villages d’enfants de Marseille, créé en 1972, est l’un des plus anciens : Thérèse Gardères a accompagné sa création, devenant l’une des premières « mères SOS » en France.
Aujourd’hui, à 76 ans, officiellement à la retraite, elle continue pourtant de jouer un rôle essentiel auprès de tous les enfants qu’elle a élevés, leurs enfants… et même leurs petits-enfants, qu’elle considère tous comme sa famille.
Elle n’en a pas eu d’autre, elle a vécu pour eux … et nous raconte cette vie exceptionnelle au service des enfants, et de leurs droits.
« C’est le quotidien qui crée le lien… »
J’ai toujours voulu travailler avec les enfants, agir pour eux, mener une action sociale. J’étais prof d’anglais quand j’ai entendu parler du village, qui se créait alors à Marseille. J’ai démissionné et déménagé pour venir y travailler, j’avais trente ans.
Aujourd’hui, 90 % des enfants accueillis ont encore leur maman, mais à l’époque, on accueillait uniquement des enfants orphelins de mère, il s’agissait de recréer une vie de famille nombreuse et on avait presque une fonction de maman adoptante. C’est le quotidien qui crée le lien !
On s’installait dans une des grandes villas, avec eux – il y en a onze dans le village de Marseille, très spacieuses, elles ont jusqu’à six chambres – et les enfants allaient à l’école dans le quartier, pratiquaient des loisirs auxquels on les amenait…
Toutes les mamans du village étaient célibataires sans enfants, c’était une condition – désormais, c’est différent, on peut avoir ses propres enfants, on a même élargi à quelques couples.
Les premiers enfants dont je me suis occupée, c’était une fratrie de huit, de 5 à 16 ans, tous orphelins. Je les ai élevés totalement jusqu’à la majorité et même au-delà, j’avais même créé un lien avec leur grand-mère, qui venait régulièrement me voir. On faisait les Noël ensemble… c’était une vraie famille.
Tous m’appelaient maman, et aujourd’hui, leurs enfants m’appellent mamie. Après deux ans et demi avec eux, j’ai aussi accueilli 4 enfants totalement abandonnés… ce qui fait que pendant quelque temps, j’en ai eu 12 à la maison ! Heureusement, l’aînée était très coopérante, et me secondait un peu. Elle aimait aider, d’ailleurs, elle a fait des études et elle est devenue infirmière !
Quand tous les aînés sont partis, j’ai commencé à accueillir des enfants temporairement… Mais finalement, l’un d’eux, qui devait être en accueil temporaire, est resté de ses 11 mois jusqu’à ses 19 ans ! Son frère, lui, est resté dix ans, puis reparti chez son père.
C’est toujours très dur de les laisser, même si on sait qu’ils retournent avec leurs parents et que c’est bien pour eux. On peut créer du lien avec des enfants qu’on n’a gardé que quelques années. Un enfant africain, que j’ai gardé de 2 à 11 ans, est maintenant toujours resté très proche de moi !
J’ai travaillé au village pendant trente-six ans, et j’ai arrêté à regret, à plus de 65 ans. Il fallait bien que je prenne ma retraite, mais j’avais encore deux petits garçons, ça a été un véritable crève-coeur ! L’aîné avait sept ans et m’a dit : « Tu pourrais aller en clinique, te faire enlever dix ans, comme ça tu resterais avec nous… » ! Après mon départ, je les accueillais chez moi pour les week-ends, les vacances…
« 33 petits-enfants… c’est mon élixir de jeunesse ! »
On essaie toujours de garder le contact. Parfois, ils prennent leurs distances, puis réapparaissent après des années d’absence. La porte n’est jamais fermée, on peut toujours les accueillir s’ils en ont le besoin.
Chaque matin, je me lève en me demandant qu’est-ce qu’il y aura de nouveau aujourd’hui ? Lequel va m’appeler ? Je vais aux anniversaires, j’aide aux devoirs, je garde les petits, j’accompagne les démarches des uns et des autres, je sillonne la France pour aller voir ceux qui ont quitté la région… C’est ma vie, je ne peux pas m’engager dans d’autres activités, car je veux rester au maximum disponible pour eux !
L’an dernier, il y a eu trois déménagements, cette année quatre hospitalisations, il faut être là, veiller sur les petits, parfois j’accompagne aussi aux entretiens d’embauche… Il n’y a pas que les difficultés, il y a les bons moments !
Maintenant, je n’ai plus une grande maison, mais un petit appartement au centre de Marseille, et les enfants m’invitent à tour de rôle, pour les Noël, les anniversaires, les mariages… C’est comme une vie de famille, mais amplifiée par le nombre ! D’ailleurs, certains garçons ou filles de fratries différentes sont très proches, plus qu’avec leurs propres frères ou soeurs, et contents de se retrouver !
Je ne me sens pas vraiment à la retraite ; au contraire, quand j’étais au village d’enfants je prenais parfois quelques jours de congé, maintenant, je n’ai plus le temps de souffler ! En comptant ceux qui sont restés jusqu’à leur majorité, ça me fait 15 enfants, 33 petits-enfants, le 34e attendu pour Noël… et déjà 14 arrière-petits-enfants.
L’été, on essaie de se retrouver à la mer, on fait des pique-niques à 15, 20, 30… On ne peut pas se réunir tous, je crois qu’on dépasse 80 personnes ! Les enfants, c’est mon élixir de jeunesse, pas de monotonie avec eux. Mon but, c’est qu’ils s’en sortent tous dans la vie, qu’aucun ne se retrouve au bord du chemin.
Un beau jour, il faudra comme tout le monde quitter cette terre : ce qui sera dur, c’est de laisser mes petits !
Pour en savoir plus et aider les enfants, rendez-vous sur le site SOS Villages d’enfants